Jeudi 26 juin 2025
Assis dans leurs fauteuils, Eo et L’Émissaire bavardaient en m’attendant dans notre loge.
— Prête pour affronter le monde ? me demanda Eo, se levant d’un bond.
— Plutôt deux fois qu’une ! Mais je n’ai que deux heures.
— Après vous, fillette, me dit-il, joyeux.
Le médaillon flottait au-dessus de l’estrade. Sans rien ajouter, je m’en emparai et nous insérâmes nos cartes dans le lecteur. Nous nous matérialisâmes là où la savane se meurt pour donner naissance au désert.
La première sensation fut la chaleur. Elle me frappa d’un coup sec, comme quand on ouvre le four pour vérifier la cuisson d’un gâteau. Ma bouche se dessécha rapidement alors qu’une lumière intense et inhabituelle m’éblouissait. Je n’avais que deux heures de jeu devant moi, mais les conditions s’annonçaient difficiles. Chaque gamer avait connu au moins une fois dans sa vie ce sentiment de mal-être, dû à une connexion trop longue, mais là les choses étaient différentes. Nous venions juste d’arriver et nos sensations physiques, en théorie virtuelles puisque simulées, me semblaient trop réelles. Ce devait être le prix à payer pour admirer, comme si nous y étions, cet incroyable paysage.
Ce qui me surprit ensuite fut le calme. Pas un bruit, pas un souffle. Rien. Le blanc total. Le chant silencieux du désert, m’avait un jour écrit mon père.
Nous prîmes quelques secondes pour étudier ce nouvel environnement. Une large palette de teintes s’offrait à nous. À nos pieds, le sable était coquille d’œuf, puis il se faisait biscuit doré, abricot mûr et au loin écorce de cannelle, le tout colorié par un artiste inconnu dont l’œuvre était condamnée à un mouvement perpétuel. Il avait opté pour un dessin à la craie dont les fines particules soyeuses apportaient un aspect léger et granuleux. Pleins et déliés s’enchainaient, traçant les formes épurées d’une femme parfaite. Sur les photos de mon père, le désert m’avait toujours semblé féminin. Ici, la courbure d’une hanche, là le rebondi d’une fesse, au fond le creux d’une nuque étirée.
Enfin vint l’odeur. Une odeur de chaud, suave et subtile.
Je plongeai mes mains dans cette matière onctueuse qui me renvoya sa chaleur. Ce doux contact m’envahit de sa puissance. De prime abord, il semblait insignifiant. Ce n’était que du sable, après tout. Pourtant, il dégageait un sentiment de grandeur, de pureté et de totale liberté puisque rien ne l’arrêtait. Je relevai les mains et les petits grains s’évadèrent, se faufilant entre mes doigts.
— J’aimerais bien pouvoir être comme le désert, murmurai-je, brisant le silence. Si petit et si grand à la fois.
C’est alors que je sentis comme des picotements dans les pieds, puis dans les chevilles. Je matai le sol, le sable recouvrait mes chaussures. Ma jambe ne réagit pas lorsque je voulus me déplacer, comme si mes pieds étaient prisonniers des petits grains. Je m’abaissai pour repousser de la main l’envahisseur, mais il était plus rapide que moi.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? me demanda L’Émissaire en scrutant le sol.
— Je m’enfonce.
— Un sable mouvant ! s’exclama Eo, soudain plein de vie. Ne bouge pas.
Il s’agita dans tous les sens. Je restais figée, mais je m’enfonçais de plus en plus. J’avais du sable jusqu’à la taille.
Puis brusquement pouf !, je disparus.
Je me sentis alors comme ratatinée, ne formant plus qu’une pyramide de petites particules à l’endroit exact où je me tenais quelques secondes plus tôt. Mon champ de vision était descendu un mètre plus bas et j’avais l’impression de rayonner, tant la chaleur m’envahissait.
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ALE 2100
Science FictionLola, jeune étudiante, entre dans un jeu vidéo qui représente la Terre en 2100. Mais quel est donc ce futur pourri qu’on lui a réservé ? Et s’il devenait le tien, cher lecteur ? ALE : Une aventure trépidante. Un monde alternatif. Une quête épi...