Chapitre 6

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Vendredi 27 juin 2025

Contrairement à chez moi, le soleil se levait dans ALE.

Avec les lueurs de l’aube, des reflets mordorés glissaient le long des épaves. À mon grand soulagement, l’air frais annonçait une progression agréable. Sans surprise, nous nous dirigeâmes vers les falaises et en commençâmes l’ascension. Eo s’engagea le premier et L’Émissaire fermait la marche, le médaillon pendu à son cou. Pendant l’escalade, j’éprouvai un sentiment de déjà vu flou, des images se superposaient dans ma tête. Comme si j’avais du mal à différencier le réel du rêve et du monde virtuel.

Mes douze heures de sommeil devaient engluer mon esprit.

— Non ! m’écriai-je subitement, affolée. Ne passe pas par là !

Eo s’arrêta net et resta figé quelques secondes avant de baisser son visage vers moi :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Une sorte de… mauvais pressentiment, hésitai-je. Cette plateforme au-dessus, elle ne me semble pas très stable. Emprunte la voie de droite.

Eo releva la tête, balaya la falaise des yeux et tendit le bras.

— Mais enfin, regarde ! C’est plus court par là !

— Je ne peux pas te l’expliquer, mentis-je alors que les souvenirs de ma chute s’affichaient de plus en plus clairement dans mon esprit. Tu le sais aussi bien que moi, les chemins les plus courts sont souvent les plus dangereux, argumentai-je avec le plus de conviction possible.

— Comme je porte le médaillon, aucun de vous deux ne peut utiliser son pouvoir. Nous devrions jouer la carte de la prudence, intervint L’Émissaire d’un ton tranquille. Si Wave a des doutes, ajouta-t-il, ses yeux verts et brillants braqués sur moi, prenons l’autre voie.

Eo me regarda, perplexe. Il devait se poser des questions. Tout comme moi. Devais-je lui dire la vérité ? Lui avouer que j’étais venue seule et que j’avais rencontré un problème ? Lui annoncer qu’un inconnu m’avait sauvée ?

— OK, à droite toute ! finit-il par conclure.

Nous reprîmes notre ascension, concentrés et silencieux, et arrivâmes au sommet sans encombre.

En haut, la vue panoramique exhibait notre incivilité. La décharge, que nous venions de quitter, dessinait un immense portrait contemporain : les trois pyramides représentaient les yeux et le nez, les alignements de voitures évoquaient des cheveux en brosse, les trains formaient une bouche grande ouverte régurgitant une flotte aérienne internationale. Le désert avait pris forme humaine et nous recrachait à la figure notre médiocrité.

— Quand on pense que nous avons passé des décennies à creuser le sol pour en retirer des matières premières qui finissent ici, abandonnées, dit Eo d’une voix grave, on se demande bien comment nous avons pu autant perdre la tête.

Ce commentaire me glaça le sang. Quel monde étrange ! Quel jeu étrange ! Et si nous n’étions pas seulement les cobayes d’une interface sensationnelle ? Et si nous étions aussi les premiers témoins de demain ? Et si c’était vrai ? Allions-nous tout bousiller ? Allions-nous être à l’origine d’une destruction massive ? Étions-nous à la fois victimes et coupables ? Nous étions-nous condamnés ? Mon esprit s’embrouillait. J’étais ici pour jouer et gagner. Pourtant, je ne pouvais m’empêcher de penser.

Nous empruntâmes une nouvelle direction. Des herbes hautes tapissaient le sol à perte de vue. La ligne d’horizon était agrémentée de quelques arbres, majestueux et colorés. Ce tableau m’inspirait un sentiment de quiétude et de tranquillité.

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