Mercredi 25 juin 2025
Toute ma vie a été chamboulée par trois petits mots :
ENTREZ VOTRE PSEUDO
Avant cela, tout allait (presque) trop bien. Dix-neuf ans, étudiante, fan de jeux vidéos, j’étais entourée d'une copine géniale, d'un petit copain sexy et d'une famille recomposée formidable.
Seulement, curieuse et confiante, j’ai entré l’adresse web fournie par mon pote virtuel Eo, que l’on prononce « i » « o », sans me poser de question. Dans ce domaine, je le suivais les yeux fermés. Mauvaise idée !
Bêta-testeur, pour Play the Game, un e-mag, Eo essayait et commentait les jeux et le nouveau matériel informatique, avant leur lancement sur le marché. Il consacrait la majeure partie de son temps connecté au réseau et affectionnait particulièrement World Game – WG pour les experts, la plus grande plateforme multijeux au monde. Ces douze derniers mois, j’avais participé activement à la grande guerre de WOP (World of Power) dans la guilde qu’il dirigeait. Nous avions alors passé des heures et des heures ensemble, par avatars interposés, à affronter des méchants numériques.
Dans la vie réelle, il vivait à Berlin et moi à Bruxelles. À part cela, je ne connaissais ni son apparence physique, ni même son âge. Il existait une règle d’or chez les gamers : pas de vie privée dans la virtualité. Par contre, je connaissais l’essentiel. Eo n’avait qu’une passion : dézinguer l’ennemi.
Cet hiver, il m’avait vaguement parlé d’un projet en développement sans donner plus de détails, si ce n’est que ce test ultraconfidentiel serait d’un « nouveau genre » et « peut-être rémunéré », deux facteurs qui avaient attisé mon intérêt. En plus d’être curieuse de nature, je n’étais pas contre un petit capital, toutefois Eo ne s’était pas montré plus bavard. Il m’avait fait parvenir un questionnaire très pointu que j’avais mis plus d’une semaine à remplir et avait refusé tout commentaire à son sujet. Après, il se contenta de me fournir une date, une adresse et une heure de rendez-vous dans WG, insistant sur le fait qu’il comptait sur ma présence.
Sans être une pro, j’aimais bien jouer après le diner. Il faut dire que les programmes télévisés demeuraient médiocres malgré les centaines de chaines disponibles. La Toile, elle, offrait une seconde vie plus attrayante, quel que soit le domaine, sans avoir à se déplacer et en toute sécurité.
Enfin c’est ce que je croyais… au tout début.
Comme beaucoup de jeunes, j’avais opté cette année pour une UVP, une Université Virtuelle Professionnelle. Je suivais la moitié de mes études à la rue de la Loi, l’autre dans ma chambre, en formation à distance dans une cyberclasse. J’avais eu du mal à convaincre ma mère ; elle voyait d’un mauvais œil cette méthode encore expérimentale d’enseignement qui, pour mon œil à moi, était top class. Elle craignait des retombées diverses et méconnues sur ma santé à cause d’un temps prolongé dans mon lit, l’esprit ailleurs dans le cyberespace (hé, hé). Après maintes discussions, et devant mon acharnement, elle avait fini par céder « sous conditions ». En échange de son accord, j’avais accepté d’une part de me rendre deux fois par semaine dans une salle de fitness, une « concrète » comme elle disait, et d’autre part je devais m’engager à réduire de manière drastique mon temps sur le web pendant les vacances scolaires et respirer l’air frais, mais bel et bien pollué, de Bruxelles.
Elle pouvait toujours rêver, mais elle n’en saurait jamais rien.
De fait, ma mère, décidément anxieuse pour ma santé physique, avait investi dans un matelas et un oreiller à mémoire de forme qui me permettraient de ne pas faire souffrir mon corps exposé quotidiennement à de longues heures en position horizontale. Jamais ma salle de classe n’avait été aussi confortable.

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ALE 2100
Fiksi IlmiahLola, jeune étudiante, entre dans un jeu vidéo qui représente la Terre en 2100. Mais quel est donc ce futur pourri qu’on lui a réservé ? Et s’il devenait le tien, cher lecteur ? ALE : Une aventure trépidante. Un monde alternatif. Une quête épi...