Chapitre 3

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Jeudi 26 juin 2025

Carnet de voyage no 3 :

Nairobi, 6 h 45

Je poursuis mon chemin vers le sud. Je suis arrivé hier dans la capitale kenyane. C’est la ville de tous les contrastes. À la fois moderne et ambitieuse, sa surpopulation la rend assourdissante. D’anciens bâtiments coloniaux côtoient des buildings flambant neufs dans un capharnaüm indescriptible tant la circulation automobile y est impressionnante. J’ai trouvé un bus en partance pour le Kilimandjaro dans une heure.

18 h 15

J’ai fait un bon voyage entre Nairobi et Moshi, qui se trouve en Tanzanie. Les deux villes sont reliées par une autoroute et nous étions des dizaines de minibus à parcourir le même chemin à la queue leu leu. On m’avait bien prévenu qu’à cette période de l’année il y aurait beaucoup de monde : jusqu’à deux-mille personnes qui s’élancent chaque jour à l’assaut du volcan. Je n’ai pas trop le choix, c’est maintenant ou peut-être jamais. Je l’ai vue depuis la route, cette excroissance massive et puissante. Il domine, il s’impose et en impose de fait. Respect !

J’ai trouvé un guide, Joseph. Il a déjà effectué l’ascension 323 fois. J’ai opté pour la voie dite « Machame », qui propose un parcours plus sauvage et aussi plus sportif. J’ai fait mon sac, environ 15 kilos. Joseph et moi partons seuls, sans porteur. Il a obtenu notre permis, direction Machame gate où nous allons passer la nuit. Nous démarrerons la randonnée demain matin.

Au pied de ce mastodonte de roche et de lave, je pense à toi. J’aime partager avec toi mes aventures et mes découvertes. J’aime croire qu’à la lecture de mes carnets, tu profites un peu de mes voyages. J’espère de tout mon cœur que tu me comprends et qu’un jour tu auras toi aussi l’occasion de voir tout ce que j’ai vu.

D’origine anglaise, mon père avait suivi ses parents au Moyen-Orient les treize premières années de sa vie. Mon grand-père travaillait pour une compagnie pétrolière internationale, ce qui impliquait un changement de pays tous les trois ans. De nombreux enfants auraient détesté devoir quitter leur maison à peine installés, mais pour mon père ces déménagements représentaient l’opportunité de nouvelles découvertes. Une nouvelle école dotée de nouveaux camarades, une nouvelle maison dotée d’une nouvelle chambre, un nouvel environnement doté de nouveaux jeux. Puis, sa vie avait basculé lorsqu’il avait dû entrer dans un internat privé de Paris, dont le rythme de vie n’avait rien de comparable avec ces pays chauds et lointains. Il avait résidé dans la capitale française jusqu’à la fin de ses études en photographie, mais il avait été contaminé par cette envie de connaitre le monde. Son vœu le plus cher ? Partir à l’aventure, découvrir d’autres contrées, rencontrer des peuples différents, apprendre leurs histoires, leurs légendes.

À la sortie de l’université, il avait tenté de commencer une carrière de photographe freelance. Son périple n’avait jamais dépassé Bruxelles : il y avait rencontré Isabelle, ma mère. « Foudroyé par la passion », comme il disait, il était resté.

Le 4 aout 2005, soit presque un an après leur rencontre, j’avais fait mon entrée en scène. Mon père avait mis alors son rêve de côté jusqu’à mes neuf ou dix ans, mais ensuite l’ambiance familiale s’était dégradée. Lui souhaitait que nous partagions cette aventure tous les trois. Ma mère, elle, ne voulait rien entendre. Me déraciner, me trimbaler de pays en pays, de ville en ville, de tribu en tribu, n’était pas une option envisageable. C’était devenu une obsession chez lui et un sujet de dispute entre mes parents.

Néanmoins, malgré les graves conséquences pour notre famille, un jour, l’appel du large avait été le plus fort.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

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