Chapitre 13

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Jeudi 3 juillet 2025

Carnet de voyage no 7 :

Hier soir, Ernesto et moi avons fait une virée sur un petit coin tranquille du Río Beni. Nous avions bien choisi notre nuit, il n’y avait pas de lune ! Lorsque nous avons allumé nos lampes torches, une multitude de billes brillantes nous entouraient. Deux par deux, elles flottaient à la surface de l’eau. Ernesto éclairait d’un côté de la barque et moi de l’autre. Nous étions encerclés. J’ai cru deviner qu’Ernesto souriait. Coincé dans notre embarcation, que j’ai trouvée soudainement ridicule au milieu des crocos et des caïmans, je n’étais pas fier. De plus, tu ne peux imaginer combien la forêt environnante est bruyante.

Le grésillement des insectes compose le fond sonore alors que les cris stridents des singes et des perroquets claquent dans le noir. Tu devines sur le bord de la rive un rongeur qui déchiquette un branchage pendant que des dizaines ou des centaines de grenouilles s’égosillent dans les ténèbres.

L’ambiance était donc animale ! Je n’osais plus bouger et respirais par la bouche, ce qui fit éclater de rire Ernesto. Lui semblait dans son élément. De temps à autre, notre pirogue tanguait, les billes clignotaient. Un caïman avait attrapé une proie.

D’ailleurs, quelques heures plus tôt, j’avais moi aussi mangé mes proies : des piranhas ! Pêchés avec Ernesto et son fils. C’est assez fameux !

Demain, je reprends le bus avec Simon et Caroline, les deux Français dont je t’ai parlé plus haut.

Je refermai précautionneusement le carnet de mon père et le rangeai dans le tiroir de ma table de chevet. Le soleil voilé se couchait lentement. Je passai dans la salle de bain, puis enfilai ma tenue de combat : mon pyjama crème en coton fin, un peu trop court pour moi, mais je ne pouvais pas me résigner à m’en débarrasser. La perspective que nous puissions utiliser tous les trois notre pouvoir aurait dû me réjouir, pourtant je ne me sentais pas d’humeur à m’amuser. J’étais emplie de nostalgie, comme quand on écoute une musique douce qui entraine l’esprit ailleurs et qui provoque de temps à autre quelques frissons sur les bras.

De plus, j’espérais au plus profond de mon être ne pas jouer de nouveau les boulets de service. J’avais eu du mal à digérer mon épopée brésilienne, même si au fond je n’avais rien à me reprocher. Un rapide coup d’œil à mon réveil m’indiqua l’heure. J’étais un peu en retard. J’enfilai mon casque et entrai mentalement l’adresse d’ALE.

Je retrouvai, comme prévu, mes compagnons dans la loge. Ils semblaient d’humeur calme et sérieuse. Les deux garçons, assis dans leurs fauteuils, devisaient sur notre dernière mission. Je les saluai. Ils hochèrent la tête. Je m’emparai du médaillon avant de me planter devant eux. Ils se levèrent d’un même mouvement et s’approchèrent du lecteur de carte sans rien ajouter.

Nous nous matérialisâmes au milieu de nulle part, sur un territoire dégarni et funèbre qui s’étendait à perte de vue. Je devinai au loin quelques arbres décrépits et décapités. Au sol, de part et d’autre du chemin en terre sur lequel nous nous tenions, un amalgame boueux laissait échapper de nombreux rameaux calcinés, des troncs déchiquetés. Je crus même deviner la carcasse d’un grand mammifère. De larges sillons griffaient le terrain dans toutes les directions. Je me dis que l’engin qui avait semé la mort devait peser son poids pour endommager à ce point l’environnement. Il avait dû pleuvoir quelques heures auparavant. Il croupissait au fond de ces meurtrissures une eau noirâtre.

Soudain, une information s’inscrivit dans les airs :

Ex-forêt d’Amazonie

ALE 2100Où les histoires vivent. Découvrez maintenant