Chapitre 8

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Dimanche 29 juin 2025

Je quittai, heureuse, l’appartement de Lucas vers dix heures. Il était parti beaucoup plus tôt pour la salle de sport et m’avait laissé sur la table sa clé à remettre dans la boite aux lettres, accompagnée d’un mot :

Je te dois toujours un massage ! J’aime tes visites inattendues.

À bientôt ?

Je t’embrasse,

Lucas.

En face de « à bientôt », j’avais gribouillé un « oui » au feutre bleu sans autre précision et rentrai chez moi. La famille avait déserté les lieux pour une balade dominicale en dehors de la ville, d’après le petit post-it laissé à mon intention dans la cuisine.

Je jetai mon sac sur mon lit et filai sous la douche. J’enfilai une tenue décontractée et contrôlai mes e-mails. Que de la pub ! Je n’avais pas pris de petit déjeuner chez Lucas ; son frigo ressemblait à une glacière vide. Je me préparai un sandwich roquette, fromage et tomates séchées, avec une bouteille d’eau. Je passai récupérer un carnet de mon père, attrapai mes lunettes solaires et partis en direction du parc, à une dizaine de minutes de marche.

À cette heure, pas grand monde ne se promenait sur les abords de l’étang, autre nom pour mare qui pue. Je parcourus quelques mètres pour dénicher un banc semi-ombragé et m’installai confortablement, mon sandwich dans une main, le carnet dans l’autre.

Ma petite Lola,

Je viens d’arriver dans ma chambre qui, pour satisfaire les touristes, représente une hutte indigène. Je n’ai pas réussi à trouver plus « authentique » aussi près du parc national. Elle est ronde, faite en béton imitation boue, et possède un toit pointu couvert de chaume. Ce n’est que du décor, car en dessous le faux plafond est, lui, bien moderne.

Moyennant quelques billets supplémentaires, j’ai dégoté un guide qui m’emmènera seul dans la réserve pour voir les animaux.

Lola,

J’ai emporté avec moi ce carnet pour que nous vivions ensemble cet instant magique. Nous avons traversé la brousse en 4x4 pendant deux bonnes heures avant de nous poster sur le flanc d’une petite colline, plus bas. Juste sous nos yeux, un point d’eau fait office de scène de théâtre.

Je suis l’observateur privilégié d’un spectacle enchanteur. Des pelages uniformes ou rayés, des brun doré, des brun foncé, des noir et blanc, des gris clair et des gris sombre. J’aperçois des centaines de cornes, droites ou recourbées, sur la tête ou près des museaux. Je te laisse imaginer à qui appartiennent toutes ces robes et parures.

Après les yeux, mon nez s’est mis en alerte. Je flaire cette odeur de bête, de fauve, si forte qu’elle m’emplit les narines et descend jusque dans ma gorge.

Enfin, je suis frappé par l’absence totale de tous ces bruits qui caractérisent notre civilisation, celle des hommes dits « évolués ». Pourtant, ils sont bruyants, ces animaux. Une véritable cacophonie ! Le craquement des branches, le martèlement des sabots sur le sol, le bourdonnement des insectes, le chant des naseaux qui vibrent, des trompettes qui sonnent, des oiseaux qui gazouillent. Malheureusement, le roi, lui, est absent. Point de lion à l’horizon.

J’aimais lire et relire ces carnets. Jusqu’à présent, ils avaient été les seuls à m’emmener en voyage. Nous partions bien en vacances, mais ces voyages-là étaient de courte durée, pas plus de quinze jours, et la majorité avait eu pour destination l’Europe. J’en gardais de très bons souvenirs, mais j’avais toujours rêvé d’aller plus loin. Depuis peu, grâce à ALE, j’avais l’impression d’être sur les traces de mon père et de parcourir le monde, tout comme lui.

ALE 2100Où les histoires vivent. Découvrez maintenant