Mardi 1er juillet 2025
Peu après neuf heures, j’embrassai ma petite famille et quittai l’appartement pour retrouver Valérie. Je ne voulais pas assister à leur départ. Je n’aimais pas être celle qui « reste » et qui regarde les autres s’éloigner.
Vingt minutes plus tard, Valérie et moi commençâmes notre journée shopping dans la plus grande rue commerçante de Bruxelles. Les soldes y avaient attiré au moins la moitié de la ville, si bien qu’à dix heures trente du matin il s’avérait difficile d’effectuer un achat dans de bonnes conditions. Les vêtements avaient été jetés en pâture dans des bacs autour desquels des femmes-vautours s’agitaient, à l’affut d’un string qui les comblerait de bonheur. Des mamans utilisaient leurs poussettes comme des chars d’assaut pour se frayer un passage au péril de leurs enfants qui, transbahutés de droite à gauche, d’avant en arrière, hurlaient de toutes leurs forces. D’autres sans-gênes se plantaient devant moi, prêts à bondir lorsque je lâcherais la proie qu’ils convoitaient furieusement. Comment avais-je pu m’emparer de ce short qui leur était destiné ? Je ne comptais plus ceux qui dépliaient sans replier, et ne prêtais aucune attention aux petits malins qui débarquaient en famille ou en groupe, pour que l’un attende à la caisse pendant que ses acolytes s’encombraient les bras. Au milieu, des étudiants, embauchés pour l’occasion et affublés d’un tee-shirt uni voyant, foudroyaient du regard ces adultes toutes générations confondues leur donner une leçon de grossièreté.
Bref, à onze heures et demie j’avais déjà eu envie de commettre une bonne dizaine de meurtres. À midi moins le quart, je craquai ; nous quittâmes la zone épuisées et énervées.
Nous décidâmes d’aller manger immédiatement avant que la faune sauvage n’assaille la sandwicherie bio du coin de la rue. Mais c’était sans compter sur tous les malheureux qui avaient eu la même idée que nous. Au bout de trente longues minutes infernales, nous sortîmes de là, panier-repas en main, et décampâmes aussi loin que possible. Le Jardin Botanique, avec ses touristes et ses canards, se présenta pour nous comme une terre d’accueil paisible.
Nous étudiâmes quelques instants le cadeau de Jan, chèrement dégoté dans un magasin de sport : un gilet de cycliste qui changeait de couleurs selon les humeurs du pédaleur. Vert souriant, orange grincheux, rouge furieux. Grâce à un détecteur des variations du rythme cardiaque, qu’il devrait porter comme un bracelet, le gilet s’adaptait. En rigolant, nous imaginions Jan sortir de chez lui et jouer au feu tricolore. En vert lorsqu’il enfourcherait son vélo, en orange au coin de la rue et en rouge cinq-cents mètres plus loin. Il arrivait toujours à l’école en colère, vociférant sur ces « abrutis d’automobilistes, inconscients, dangereux et pollueurs », comme il disait.
Aux environs des seize heures, je me dirigeai vers la maison. J’effectuai une halte au supermarché pour remplir le réfrigérateur. Lorsque je passai la porte, chargée comme un mulet, un calme plat régnait dans l’appartement. Je stockai mes courses au frais, puis découpai les étiquettes de mes précieux achats : une robe, deux tee-shirts et un short que je rangeai dans mon armoire.
Soudain, je réalisai que j’étais vraiment seule. Pas un bruit, pas un cri, pas un jouet qui couine. Rien. Je fis le tour de l’appart, cherchant une peluche sur le parquet, un bout de madeleine trainant sur un meuble, des chaussures abandonnées dans un coin. Rien. L’endroit était désert.
J’aurai pu hurler de joie et courir nue dans le couloir. Mais non. Coup de blues, oblige, je pris un verre d’eau fraiche et restai assise, seule au monde, dans la cuisine. Me revint alors en mémoire le départ de mon père. Je me souvins qu’au bout de quelques jours, même son parfum avait totalement disparu. Les larmes montèrent. Je frottai mes yeux quand le téléphone sonna. Je reniflai et décrochai. Une vague de bonheur m’envahit dès que je reconnus la voix. L’appel provenait de ma mère, elle pensait à moi. Elle m’annonça qu’ils étaient bien arrivés, que le voyage n’avait pas été trop dur, que l’hôtel était super et qu’il faisait beau. En résumé, que des bonnes nouvelles. De mon côté, je lui racontai brièvement ma journée en enfer et la remerciai une nouvelle fois pour l’enveloppe. Revigorée par la douce voix de ma maman adorée, je contactai Lucas et nous convînmes de nous voir le lendemain. Il m’invitait au restaurant pour fêter mes résultats, il allait annuler son rendez-vous pour moi.

VOUS LISEZ
ALE 2100
Science FictionLola, jeune étudiante, entre dans un jeu vidéo qui représente la Terre en 2100. Mais quel est donc ce futur pourri qu’on lui a réservé ? Et s’il devenait le tien, cher lecteur ? ALE : Une aventure trépidante. Un monde alternatif. Une quête épi...