De sa main habile et puissante, le docteur poussa la porte de chez lui. Il posa son imperméable noir sur le porte-manteau sans même y adresser un regard et partit vers le salon, sans allumer aucune lumière. Comme un fantôme, il passa devant le buffet décoré d'un petit cadre photo, sa femme et sa fille. Strom passa derrière le bar, en sortit une bouteille de whisky. Le flacon à moitié vidé luisait étrangement, il n'aurait pu dire s'il reflétait les lampadaires de la rue ou la clarté de la pleine lune. Le ciel nocturne était apaisant. Aussi, lorsque le docteur se servit un verre, son laboratoire, son entrevue avec Anika et ses équations lui semblèrent dater de longs mois. Il s'enfonça dans son canapé, respirant les vapeurs d'alcool avec plaisir, perdant le fil de ce qui l'entourait. Il s'était branché sur un canal crypté de son cerveau.
Après une heure installé là, il s'aperçut qu'il s'était endormi. Son verre était tombé entre ses jambes sur le carrelage désormais collant. Rien de cassé heureusement. Il partit chercher de quoi nettoyer dans la cuisine et la vue de tous les ustensiles et robots mixeurs, cuiseurs, fit réapparaître dans son esprit les difficultés qu'il éprouvait au travail. La machine n'était opérationnelle qu'en théorie. Il lui fallait encore la tester. Rien qu'en terme de matière, s'il voulait obtenir un résultat viable, il lui fallait synthétiser quantité d'éléments introuvables sur le marché. Si sa science contrait la nature sur le papier, celle-ci le contraindrait toujours en réalité. Et même si il avait déjà réussi à plier la matière à ses exigences, il possédait encore trop peu de cet alliage de vie et de recherches qu'il appelait la "chair" pour recréer un être aussi complexe qu'un humain.
Il attrapa un torchon, l'imbiba d'un produit pris au hasard dans le placard sous l'évier. Toujours aucune lampe allumée. Son pied buta contre un meuble. Le téléphone fixe en tomba, le cadre photo s'aplatit sur la surface du buffet. Strom, après avoir sauté sur un pied et s'être massé l'autre quelques secondes, ramassa le téléphone et l'opercule de la batterie qui s'en était détaché. Il le reposa sur son socle. Pas de bruit. Pas de petit bip comme à chaque fois qu'il rebranche le combiné. Cassé. Tant pis, il ne reçoit plus de coup de fil depuis longtemps, ni d'amis, ni de famille. Il n'en a plus. Et c'est d'ailleurs bien mieux comme ça, il a plus de temps pour ses travaux.
Salvador ne redressa pas le cadre et alors qu'il nettoyait les carreaux, le téléphone sonna. Finalement, il n'était pas cassé juste mal branché.
"Docteur Salvador Strom à l'appareil.
- Bonsoir Docteur, comment va notre projet ? "
Décontenancé, le scientifique ne compris pas immédiatement à qui il avait affaire. Il se ressaisit.
"Bien. Mais nous commençons à manquer de sucres et de silicium. Et nous aurons besoin également de générateurs plus puissants, ou au moins de quoi en créer.
- Soit. Je m'arrangerai pour vous les fournir. Et la fille ?
- Je n'ai plus de nouvelles.
- Depuis combien de temps, lâcha l'interlocuteur avec dégoût.
- Deux semaines.
- Elle collaborera ?
- Je crois ?
- Seulement ?
- Oui, je ne peux pas la forcer.
- Et les autres ?
- J'aime moins leurs dossiers... Je crains qu'ils n'aient pas la carrure pour ce que nous faisons.
- J'attends des résultats docteur. Pas des excuses."
La communication coupa net. Soudainement, la tension et le stress de sa journée ressurgirent. Ce coup de fil fut la goutte d'eau qui provoqua le coup de sang. Depuis trop longtemps, Strom accumulait la pression. Ses rares collaborateurs l'avaient trouvé de plus en plus irritables et peu étaient ceux qui, inférieurs à lui dans la hiérarchie tacite de l'Institut, osaient encore lui adresser la parole. Avec une lenteur léthargique, il alla à son bureau et dans un élan de rage, envoya valser tous ses dossiers à travers la salle. Il ne se calma qu'en tombant sur celui d'Anika Wienn.
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Le Système Strom
Ficção CientíficaDans un monde qui part en lambeaux, le Docteur Strom a un projet, créer une société parfaite. Et si la perfection n'est pas de ce monde, il lui faut l'inventer. Pour cela, il est prêt à tout. Prêt à repousser les limites de l'humanité. Prêt à repo...