Rapport de pensées n°6

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Bon... Je viens d'entamer mon sixième rapport de pensées. À  l'évidence, je ne peux pas rapporter ici toutes mes pensées. Je n'écris pas assez vite et je n'ai pas que ça à faire de mes journées. Parfois je jette un coup d'œil à mes livres alors que j'écris ici.  J'aimerais bien dire que cet exercice a au moins l'avantage de... Je ne sais pas moi... de me libérer de toute cette pollution qui m'encombre la tête. Mais non, ça ne fait que l'amplifier et même quand j'essaie de parler d'autre chose que du projet du docteur, rien que le fait de voir ce cahier m'y ramène. À croire que je suis obsédée par ce dont il m'a parlé. Et puis en cours, je ne gribouille plus que le petit sigle de l'Institut. Aucun autre dessin ne me vient à l'esprit quand j'abandonne la voix du prof d'histoire ou de la prof de maths. C'est fou comme c'est chiant ces cours. À moins d'une demi-heure de marche de ma prison quotidienne, il y a cet établissement dont les sous-sols s'étendent sur peut-être un hectare et dont chaque mètre carré est destiné à changer le monde par la seule force du savoir. Après, ça, c'est ce que j'imagine. Si ça se trouve, tout ce qu'on trouve là-bas, c'est une fantastique brochette d'hypocrites en blouses blanches. Non. Pas hypocrite : mégalomanes, riches et obnubilés par leur travaux. 

Et si tout ça n'était qu'un immense quiproquo ? Et si le docteur s'était bêtement trompé de dossier quand il a mis l'étiquette de mon nom dessus ? Non. Impossible, c'est bien moi, mon texte, qu'il avait cité lors de notre discussion. Mais il me promet quoi ? La perfection ! Et puis quoi  encore. Qui peut la définir cette perfection ? Une gamine un peu moins conne que la moyenne ? Et puis je devrais le suivre et lui faire confiance juste parce qu'il est du même avis que moi ? Et puis c'est complètement insensé ce qu'il me promet ! Moi ? Sans aucun besoin, sans aucun désir ? Je suis déjà comme ça et pas parfaite pour autant. Si ? Moi, Anika Wienn, suis parfaite ? Non. Si je l'étais, je n'aurais pas la flemme de ranger ma chambre ou de faire à manger de temps en temps... Mais est-ce que ce genre de tâches constitue réellement une barrière à la perfection ? Je devrais savoir faire le ménage pour être parfaite ? J'emmerde la perfection alors. Et de toute manière, ce n'est pas le désir qui m'empêche de réaliser ces travaux ménagers. Est-ce que je désire ne pas ranger ma chambre? À la limite, on peut dire que je considère que ma chambre n'a pas besoin d'être rangée et que ce que je désire, c'est de ne pas "souffrir" pour qu'elle le soit. Est-ce que ce projet de Strom m'ôterait ce "désir de ne pas souffrir"? Dans ce cas-là, rien ne m'empêcherait de devenir parfaitement bonniche... À part ce que j'estimerais nécessaire. Mais du coup... chaque fois que j'estimerais nécessaire que quelque chose soit fait, je le ferais ? Comme si ce n'était pas déjà le cas aujo

Stop. Je vais finir par me contredire. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : il suffit de lire les lignes précédentes. C'est vrai que si on étend cette idée de perfection au delà du ménage, ça paraît tout de suite beaucoup plus... plus "wow, cette personne a beaucoup d'audace ! C'est quelqu'un de bien." Bon. après, restons calmes, pas la peine de partir sur cet idéal du héros protégeant les opprimés et agissant pour la justice et le bien commun. Je ne pourrais probablement pas ramasser tous les déchets que les gens lâchent par terre. Et puis si la limite de mes actions est ma considération pour toute chose, on ira pas non plus bien loin. Ces derniers temps, je déprime. La vie me semble un amas d'atomes ordonnés par la force du hasard et le monde ne tourne encore que pour cette raison.  C'est un hasard si ma mère a accouché de ce truc qui respire depuis treize ans et pas d'un garçon qui joue au foot et dont elle serait fière. Les gens qui meurent, les gens qui vivent, les gens qui naissent, ils veulent tous satisfaire leurs besoins et personne ne se demande pourquoi on en a envie.  Moi je sais pourquoi on en a envie. C'est parce que ceux qui n'en avaient pas envie ne se sont pas reproduits, laissant la planète, ce caillou, à ceux qui par la force du hasard en avaient envie et qui ont eu des gosses qui en avaient envie. Et aujourd'hui, on continue de respecter cette loi de Darwin et qu'elle est la preuve que rien n'a de sens. Et ce qui n'a pas de sens, je ne le considère ni comme bon, ni comme mauvais. Moi parfaite, les gens continueront de naître, vivre, mourir et polluer la planète. 

Je vais lire un livre.

25/03/2043

Le Système StromOù les histoires vivent. Découvrez maintenant