Le Magma

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La date du transfert avançait à grands pas. Les tests et calibrages moteurs étaient terminés depuis deux jours. L'androïde avait déjà l'espace de stockage, les muscles et un visage, il ne manquait plus qu'une âme. Âme, c'est pour parler en termes poétiques. Le rationalisme froid de Strom et de ses protégés qualifierait plutôt cela de magma. Au sens mathématique du terme : un couple composé d'un ensemble d'éléments et d'une loi de composition interne qui fait interagir ces éléments entre eux. Anika était ce magma, elle avait son ensemble d'éléments, ses connaissances, et sa loi de composition interne, sa manière de penser, de mettre en lien les données, de les interpréter.

Désormais, il fallait prendre ce magma et l'insuffler à la machine. Strom travaillait donc sur le moyen d'effectuer cette délicate opération. Une de ses premières idées avait été de transporter les souvenirs contenus dans les cellules nerveuses du sujet de la même manière qu'on avait récupéré les données motrices : électrodes, scanner, et c'était fini. Il n'y aurait pas vraiment eu de transfert, ç'aurait plutôt été un copier-coller. Mais évidemment, cette méthode avait ses limites. Il était impossible de déterminer avec précision la fidélité des données finales par rapport aux données d'origines, mais le docteur estimait  qu'avec les moyens actuels, on aurait un rendement d'à peine 2%. Et encore, ç'aurait été 2% des souvenirs, connaissances et méthodes de réflexions qu'ils auraient eu l'occasion de faire resurgir. Rien que la tâche de survoler l'intégralité des choses qui se déroulent dans la tête d'Anika constituait une raison suffisante pour abandonner.

Une autre idée, celle dont le docteur avait eu le plus de mal à se défaire, c'était une opération chirurgicale pure et simple. On rognerait l'hypothalamus afin d'éviter les émotions superflues, et le tour était joué. Le professeur s'était entraîné : l'Institut possédait une morgue. Personne n'en surveillait jamais l'entrée, et un faux compte administrateur de l'Institut suffisait à changer les droits d'accès du badge de Strom. Et puis les morts ne sont pas censés sortir de leurs réfrigérateurs tout seuls. D'ailleurs, pas besoin de les faire sortir, quand un corps devenait inutilisable, il suffisait de faire rouler la table d'opération vers l'incinérateur. Mais c'était extrêmement risqué évidemment. Un mauvais coup de scalpel et l'androïde était aveugle, un millième de seconde d'opération en trop et la dé-vascularisation de l'organe provoquerait des pertes irrémédiables.

Jusqu'à quelques jours avant l'opération, c'était malgré-tout ce qui était prévu. Heureusement, au cours de son séjour chez le professeur, Anika avait proposé une autre méthode : On avait affaire à un problème d'ordre cellulaire, donc pourquoi ne pas y apporter une solution d'ordre cellulaire ? Si la mémoire était stockée dans un réseau de cellules, on pouvait tenter de s'y infiltrer pour accéder directement au données. Elle avait alors suggéré de mettre au point une molécule neurotoxique qui, comme toutes les neurotoxines pourrait entrer dans le réseau neuronal pour mieux le copier.

Avec l'appui de Blerim, l'adolescente avait réussi à faire fléchir le savant. C'était le meilleur moyen de procéder, et lui-même avait fini par l'avouer. Cela faisait donc deux semaines que Strom, Anika et Blerim mettaient au point cette neurotoxine. une fois dans le système nerveux, elle en effectuerait d'abord une cartographie, et à l'aide d'un signal électromagnétique, elle enverraient toutes les informations récoltées à un ordinateur qui se chargerait de transférer les données dans le cerveau de l'androïde. Et comme toutes les neurotoxines, elle conduiraient bien sûr à la mort des neurones. Donc pas de retour en arrière possible.

C'est Blerim qui était en charge du codage du logiciel de tri et transfert de la mémoire. Et clairement, il ne s'était jamais autant amusé de toute sa vie. Le codage sur Chaire était d'une complexité, et d'une élégance folle. Chaque algorithme qu'il mettait au point dans ce nouveau langage qu'il appréhendait lui donnait envie de s'applaudir. Il était émerveillé.

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