Science

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Le lendemain, le scientifique emmena Anika à son laboratoire clandestin. Il avait garé la Mercedes au pied d'un bloc de béton gris assez haut. Avant d'être un laboratoire, c'était un simple entrepôt pour mettre sous vide et stocker des morceaux de viande de la ferme d'à côté. Aujourd'hui, un élevage de ce genre était tout à fait impensable, trop coûteux, pas assez rapide, et même les prés autour étaient trop toxique pour la consommation de quelque espèce animale que ce soit., la ferme avait été rasée, l'entrepôt conservé pour le revendre au premier acheteur assez fou pour investir dans les parages.

Strom récupéra dans son coffre le sac du synthétiseur vocal pour l'instant en pièces détachées.

Ils quittèrent la voiture et marchèrent les quelques mètres les séparant de leur projet.

La porte était en acier trempé, cadenassée à quatre reprises, surveillée en permanence par une caméra dotée d'un micro. Pas de lecture d'empreinte digitale, pas de déverrouillage oculaire comme dans les films, pas de commande vocale. Anika fut un peu déçue.

Un à un, le docteur ouvrit les verrous, puis poussa la lourde porte.

Une salle, plongée dans le noir. Alors que Strom tâtonnait pour trouver l'interrupteur, des centaines d'images surgirent à l'esprit de l'adolescente. Un laboratoire clandestin... à quoi cela pouvait-il bien ressembler ? Elle revoyait ces séries policière avec les chambres froides, les vieux films d'extra-terrestres manipulés par des scientifiques en blouses blanches et gants en latex, ces centres de météorologie, de géologie, ces usines de synthèse de produits dangereux.

Lumière.

Anika plissait les yeux, s'attendant à être éblouie par des revêtements de carreaux blancs sur le sol et les murs, mais il n'en était rien. Du béton, rien que du béton, et des bureaux, alignés bien correctement en trois rangées, comme à l'école. Sauf que les tables étaient clouées au sol et autrement plus résistantes. Sur la première rangée, des livres, une petite quinzaine, tous portaient des noms qui jamais n'apparaîtraient en librairie : «modélisation macroscopique de la chimie organique», «Atlas du système cérébral», «L'inaltérabilisation des cellules du vivant et ses procédés»...

Strom tira Anika vers la deuxième rangée de table. Des écrans d'ordinateurs intégrés aux planches de bois laqué affichaient des logiciels de modélisation complexes où les différentes composantes d'une espèce de bras articulé apparaissaient flottant à l'écran.

- Ça, c'est ce qui me sert à passer de la théorie à la pratique.

De son doigt, le savant balaya la salle en décrivant la trajectoire d'un câble épais comme un boa qui serpentait des ordinateurs à une énorme machine vers le fond de la salle. Une gigantesque cage en verre, à l'intérieur, une imprimante 3D alimentée en matière par un réservoir à 20 barillets de quelques 20 litres chacun situé en dehors de la cage. Un gros bloc ventilé était accolé à cette mini-usine. Strom expliqua que pour réaliser la chair, il fallait créer un vide dans la cage au moins trois fois supérieur à celui de l'espace.

- Combien de temps pour fabriquer de la chair ? demanda Anika

- Un jour par kilogramme, sachant qu'un kilo de chair permet de stocker et d'exploiter deux péta-octets d'informations, soit deux mille de fois environ la mémoire d'un ordinateur classique aujourd'hui.

- Et ça c'est quoi ? dit la jeune fille devant la troisième rangée de bureaux.

On voyait s'entasser plein de fils, de bouts de métaux, de verre, de tissus, d'outils de bricolage, des loupes, des feuilles et des crayons.

- C'est là que je fabrique tout ce qui ne nécessite pas autant de minutie que la chair.

Il posa là le matériel qu'il avait ramené de l'Institut la veille. Anika continuait de regarder autour d'elle. C'est ici que son avenir allait se jouer. Pourtant, il n'y avait rien d'impressionnant ici à l'exception de l'énorme imprimante 3D et de ses réservoirs. Pas de machine de transfert comme elle se l'était imaginé avec des casques bourrés d'électrodes et des leviers rouges pour couper le courant quand tout dérape.

- Avec quoi est-ce qu'on va me transférer ? Et où est toute la chair déjà créée ?

Strom, qui déjà s'était installé à son petit atelier et bidouillait leva les yeux au plafond.

- Quoi ? J'ai plus le droit de poser des questions ?

- Non, tu n'as pas compris, rétorqua le savant, lève la tête.

Au dessus de leurs crânes flottaient des centaines d'autre fantaisies. Elles pendaient au bout de lourdes chaînes. Il y avait là deux immenses cuves cylindriques en verre, des ordinateurs, des prothèses, des planches sur lesquelles s'entassaient encore des livres, mais aussi des feuilles et des classeurs. Mais surtout, il y avait de la chair. Strom, se doutant qu'Anika finirait par le lui demander, finit par en faire descendre un bac. Elle se présentait comme une pâte grisâtre et nervurée de filaments bleu azur. Elle remplissait le bac comme un liquide mais avait la texture de l'argile séché. Il fallait faire passer un courant électrique au travers pour rendre malléable, et encore, cela nécessitait beaucoup de patience : pour que les cellules ne perdent pas leurs propriétés, elle se ré-agençaient lentement. Donc pas de changement de forme trop brusque.

En utilisant des pinces crocodiles, Salvador brancha son œuvre à une prise électrique sur l'un des bureau. La matière, sous les yeux d'Anika, s'anima. Les linéaments bleus se mirent à luire faiblement quand l'énergie les parcouraient. La pâte pris petit à petit une couleur rose de plus en plus violente. Au toucher, c'était de la chair.

L'enfant était encore bouche bée face à la fantastique invention quand le génie lui demanda :

- Sais-tu dessiner Anika ?

- Oui, plutôt bien même. Pourquoi ?

Le Système StromOù les histoires vivent. Découvrez maintenant