Le Système Strom

Rapport de pensées n°25

Peut-être que je ne suis plus seule, mais la présence de Blerim n'apporte aucune compagnie. Après presque un mois en sa compagnie, je ne sais de lui que :

- Son prénom,

- Son âge,

- Son jeu vidéo préféré,

- Le fait qu'il n'était pas en très bon termes avec ses parents.

Et encore, le dernier point, ce n'est pas lui qui m'en a parlé directement, j'ai dû le deviner toute seule. J'essaie vraiment d'entrer en contact avec lui, mais c'est compliqué. Il ne parle pas, il passe tout son temps à regarder le ciel par la fenêtre. Lui aussi tient un journal. J'ai, vraiment, vraiment, énormément, démesurément envie de lire ce qu'il y écrit. Je sais où il le range, je pourrais lui voler d'un million de manières, je... Jamais je ne pourrais le faire, évidemment. C'est son espace de vie privée quelque-part... Bien que Strom ait un droit de regard dessus. En tant que futur collègue ou que sais-je, je ne peux pas me permettre moralement de toucher à ses affaires. Mais j'ai besoin d'entrer en contact avec lui... Je n'en peux plus de le voir errer avec moi chez le docteur. On est comme des fantômes l'un pour l'autre. Quelque part, ça me soulage de le voir sortir de la maison de temps en temps. Il part marcher, qui sait où, et revient après deux où trois heures, parfois même plus longtemps. Je reste encore enfermée. J'aimerais bien retourner à la mer, chez lui. Là-bas, il serait peut-être plus enclin à parler de lui, ou à parler tout court. Au début, j'étais jalouse qu'il puisse sortir et pas moi, je le réalise en relisant mes derniers rapports de pensées : "Qu'il aille où il veut, moi, je n'ai pas besoin de sortir, j'ai toute la connaissance du monde entre les quatre murs du docteur".

Belle preuve de maturité Anika, bravo. M'enfin... Mieux vaut le réaliser maintenant, j'aurais au moins eu le droit de ressentir de la fierté en comprenant par moi-même à quel point j'étais mesquine quand je parlais de lui ainsi. Quand j'écris que j'aurais eu le droit de ressentir de la fierté, c'est en comparaison avec mon état d'après le transfert évidemment.

Wow. Prise de conscience un peu brute... comment ça "par moi-même" ? Est-ce que le fait de le comprendre une fois privée de mes émotions serait comme si je n'étais pas à la source de cette remise en question ? Non... une fois transférée, je serai toujours moi... Un meilleur moi qu'avant parce que je ne serai plus influencée. C'est moi qui serai au commandes, pas quelqu'un d'autre. Je serai la même personne, à qui on aurait permis de ne plus faire de mauvais choix, à qui on aurait permis de ne plus s'embrouiller les pinceaux avec des éléments de réflexion superflus, incohérents, incontrôlables. En quelque-sorte, ce n'est même pas une question de permission, je n'aurai plus le choix, je ne ferai que les meilleurs choix. Je ne serai plus quelqu'un qui évolue de manière aléatoire, en fonction de son environnement et tout... Je serai quelqu'un qui évolue de manière prédéfinie par la morale, la justice, le Bien quoi. Plutôt stylé, convenons-en... Mais j'ai un peu peur de ça aussi. Peut-être que la Anika d'aujourd'hui... Non. De toute évidence, la Anika d'aujourd'hui, n'évoluerait jamais de la même manière. Il n'existe probablement aucun choix que je ferais aujourd'hui qui soit un choix que j'aurais fait si j'étais l'Anika transférée. Cette autre Anika, serait bien trop parfaite pour que je puisse lui équivaloir d'une quelconque manière. 

Après le Transfert, je ne serai pas juste quelqu'un d'autre... Non. Je serai totalement quelqu'un d'autre.

Je vais essayer de discuter de ça avec Blerim. Après tout, ça le concerne au moins autant que moi...

Rhaaa... J'ai horreur de ne pas savoir. De tous les sujets que j'étudie avec Strom, celui qui me pose le plus de question est celui au sein duquel je me jette. Aucune certitude. Aucune croyance non plus. Tout ce que je sais, c'est qu'avant, il y aura moi, et qu'après, ce moi sera devenu une sorte d'hybride au barycentre de l'humain, de l'ordinateur et de la bibliothèque, à un tel point que même le professeur ne saurait dire si je pourrai me considérer comme un être vivant.

Putain de merde, je ne sais plus. Je serai quoi à la fin. Un monstre ? Oui, c'est sûr ça. Mais est-ce qu'il restera quelque-chose de moi ? Je ne veux pas mourir. Je suis quoi ? Je suis ce que je fais ? Ce que je décide ? Ce dont j'ai envie ? Ce que je mérite ? Ce que j'aime ? Est-ce que je continuerai d'exister si je pers mes envies ? Et puis pourquoi je fais ça ?

Fait chier, avant de me barrer de chez mes parents, j'avais des envies de suicides. Pourquoi est-ce que tout à coup, je me mets à avoir peur ?

Qu'est-ce que tu veux à la fin Anika ?

28/04/2043