Le Système Strom

Porter la bonne parole

Le ciel est toujours gris, la campagne est toujours grise, l'herbe n'a plus de vert que la pluie acide qui lui tombe dessus en certains jours bénis. À croire qu'elle s'adapte plus vite aux changements climatiques que la société.

Il vire légèrement sur la droite et manque au dernier instant de s'écraser sur le bas côté :

- De Dieu ! Salvador ! Tu comptes crever maintenant ?

Quand il eut repris une trajectoire bien droite, il s'autorisa une baffe en guise de punition pour son irresponsabilité. Ça lui apprendra à négliger son temps de sommeil. Il regretta le temps où il avait un chauffeur. Encore soixante cinq kilomètres. Soixante cinq kilomètres de grisaille. Ne pas écouter la radio. Jamais. plus jamais la radio. Il avait fait l'erreur de l'écouter la veille : "La petite Anika est toujours portée disparue. Ses parents sont au désarroi le plus total et la police n'a encore aucune piste pour commencer une investigation sérieuse..." Il n'était pas un criminel, la seule criminalité aujourd'hui, c'était le silence des politiques face à la situation.  On ne les entendait déjà plus beaucoup. Ils sont occupés dit-on, mais Strom savait qu'ils ne faisaient profil bas que parce que les émeutes approchaient, et que personne ne veut être le responsable. Il ne lui restait plus beaucoup de temps.N'avait plus aucun espoir pour ce monde là, c'est pour cela qu'il se concentrait sur le prochain, c'était le seul combat qui valait la peine qu'on s'y jette. Il ne fallait pas céder à cette tension morale qui déjà le bridait beaucoup trop. plus qu'une heure de route.

- Excuse-moi, vous êtes ?

- Docteur Strom, de l'Institut. dit le scientifique à la vieille femme. Je dois m'entretenir avec votre fils.

Elle regarde ses pieds quelques secondes avant de hurler :

- Hector !

Le fils vint et tressaillit à la vue du savant. L'adolescent avait décelé la raison de sa venue. Il sentait que quelque-chose allait se passer.

- Je peux discuter seul avec toi ?

Hector accepta et la mère n'eut pas son mot à dire. Dans le salon, le garçon coupa la télé et congédia sa stupide matrone, c'est pas une discussion pour les simples d'esprit. Strom se sentit assez mal à l'aise vis-à-vis du respect qui apparemment régnait en ce foyer. Il ravala ses rétentions quand il se remémora les enjeux de sa venue et entama le sujet aussi directement que possible :

- J'ai un projet d'immense envergure à mener, tu peux en faire partie. Tes résultats au test que tu as passé à l'Institut sont assez bons pour que tu nous rejoignes. Nous avons un moyen de...

- Non mais si vous croyez que mes résultats sont juste "assez bons", c'est parce qu'ils ne sont pas vraiment représentatifs. le coupa Hector. Je devais rejoindre mon club d'échecs juste après le test ce jour-là. Si j'avais eu plus de temps j'aurais eu de largement meilleures notes.

- Hector, tes résultats sont très cohérents sinon je ne serais pas ici, et je ne viens pas pour parler de tes résultats...

Strom hésita, Puis il se rappela du temps qu'il lui restait. Dix mois tout au plus, c'était bien trop peu.

- Je peux te rendre immortel.

Pas le moins impressionné du monde, le petit génie se laissa aller à un petit rire avant de lâcher :

- Vous mentez.

- Et pourquoi ça ?

- L'immortalité n'existe pas.

- Si, j'ai trouvé un moyen.

- C'est faux.

- Comment peux-tu en être aussi sûr ?

- J'ai lu votre thèse. Vous concluez de manière tout à fait logique et scientifique que l'immortalité n'existe pas.

- Ma thèse date et la technologie progresse.

- Pas assez.

- Si assez justement.

- Si vous aviez découvert l'immortalité, vous n'en parleriez pas à un gosse comme moi et vous garderiez cette découverte pour vous seul.

- C'est là que tu te trompe.

- Non je ne me trompe pas. Vous n'êtes pas un scientifique si vous remettez en cause mon raisonnement.

- Qu'est-ce que tu as d'un scientifique gamin ?

- L'intelligence.

- Ce qui fait le scientifique, ce n'est pas l'intelligence, c'est sa capacité à se placer à mi-chemin entre scientisme et scepticisme.

- Vous êtes juste un imposteur. Vous n'êtes peut-être même pas le Professeur Strom. D'où est-ce que vous sortez ? Si ça se trouve vous avez juste hacké mon ordinateur pour espionner mes recherches internet et monter de toutes pièces cette conversation.

- Pourquoi aurais-je fait ça ?

- Parce que vous kidnappez des gosses.

À ces mots, Strom eut une quinte de toux. Ses problèmes moraux l'étouffaient. Et ce monsieur je-sais-tout lui tapait sur le système.

- Tu sais quoi petit ? Je vais te laisser crever sous ton pauvre petit toit avec ta pauvre mère que tu traites si bien et je vais continuer ma vie comme si tu n'avais jamais répondu à ce test.

- C'est ça, barrez-vous, moi au mois je crèverai pas parce que je serais monté dans la voiture d'un vieux pervers qui donne des bonbons aux enfants à la sortie de l'école !

Et dès que le savant fut dans sa Mercedes, l'ado ouvrit la fenêtre, leva son majeur et cracha dans sa direction.