La jeune fille referma son carnet. Elle continuait de songer à ce qu'elle venait d'écrire. Elle hésita à le rouvrir mais se ravisa quand elle entendit sa mère l'appeler du rez-de-chaussé. Elle descendit, effleurant les murs du bout des doigts, s'amusant des irrégularités des parois qui s'enchaînaient et lui râpaient les empreintes digitales. En bas, devant le JT, sa mère l'appela de nouveau, elle n'avait pas remarqué qu'Anika était juste à côté d'elle. À l'écran, on voyait des soldats étalés à travers des dunes de sables, impossible de savoir s'ils étaient vivants ou morts.
"Maman, je suis là."
Ces mots calmes surprirent Mme Wienn qui eut du mal à se souvenir ce qu'elle voulait annoncer à sa fille. Puis tout lui revint, elle baissa le son de la télévision.
"Oui, en fait Anika, ce week-end, ton père et moi allons te laisser seule. on va voir un vieil ami de ton père qui organise un séminaire sur je ne sais plus trop quoi. Donc on compte sur toi pour veiller sur la maison.
- Ah."
Anika se dit alors que l'idée de l'emmener n'avait jamais traversé l'esprit ni de son père, ni de sa mère.
"Ça ne te dérange pas au moins ? parce que tu sais, on peut en parler à ta grand-mère, elle se ferait sûrement un plaisir de te garder.
- Non. C'est bon, ça ira.
- On te laissera de l'argent pour que tu ailles faire les courses, si il manque quelque chose."
Puis Mme Wienn detourna son attention vers le reportage sur l'explosion des conflits à travers le globe. Aucun continent n'était épargné, les buildings s'effondraient dans les métropoles abandonnées, les réfugiés ne savaient plus où aller. Toujours plus de morts, de moins en moins d'espoir. Bref, le blabla habituel des journaux qui ne pouvaient plus nier la réalité, ses horreurs, ni cacher aux populations en paix les erreurs commises par leurs dirigeants.
Anika retourna dans sa chambre et ressortit son carnet du tiroir de son bureau. Dans le capharnaüm où elle vivait, seuls ses rapports de pensées étaient méticuleusement rangés. Elle se remit à écrire. "Changer le monde..." C'est bien ce que Strom lui avait dit.
Le vendredi soir arriva. En rentrant du travail, ses parents s'étaient dépêché de faire leurs valises, avaient mangé un peu de ce qu'Anika avait préparé, des pâtes au basilic, puis s'en étaient allé alors que la nuit s'apprêtait à tomber. La jeune fille resta interdite encore quelques minutes après leur départ. Petit à petit, elle prit conscience de sa solitude, non sans une pointe d'amertume, mais surtout avec en bouche un goût nouveau, éxaltant. Elle couru chercher son carnet. À partir de ce jour, elle ne le quitterait plus. Elle voulait pouvoir tout noter, n'importe quand et n'importe où. Elle se jeta sur le canapé, stylo et cahier en main, se disant qu'elle était enfin tranquille pour gribouiller ses idées, que ni son père, ni sa mère ne pourraient lire par dessus son épaule ce qu'elle leur cachait depuis plus d'un mois maintenant. Dans cette solitude, dans cette liberté jubilatoire, elle pris sa décision. La peur de se résoudre à suivre Strom ou non s'était envolée avec ses parents. Elle le suivrait, quoi qu'il en coûte pourvu qu'enfin, sa vie prenne un sens. Qu'importent ses aïeux, qu'importent l'école et ceux qui l'enfermaient dans une routine absurde, elle accepterait la mégalomanie d'un génie et les responsabilités qu'impliquerait la perfection.
Son rapport achevé, Anika quitta le salon, récupéra une feuille blanche dans le bureau M.Wienn. Elle s'y installa commença la redaction de ses derniers mots à l'attention de ses géniteurs :
"Je pars, ce n'est pas votre faute, ce n'est la faute de personne. J'ai besoin de partir. J'en ai assez de faire ce qu'on me dit qu'il serait bon de faire. Je l'ai fait, et n'en ai tiré que le sentiment d'être l'instrument de je ne sais quelle fatalité sociétale. Certains s'en portent très bien, moi pas. Je ne compte pas revenir. Continuez votre vie, ayez d'autres enfants si vous voulez, ne les négligez pas. Ne leur parlez pas de moi. Vous avez de la chance que vos parents soient séniles, vous n'aurez pas à leur expliquer ce que je suis devenue. Ne me cherchez pas. Et faîtes-moi simplement confiance quand je vous écris que je prendrai soin de moi."
Anika partit, laissant l'argent que sa mère lui avait abandonné.
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Le Système Strom
Science FictionDans un monde qui part en lambeaux, le Docteur Strom a un projet, créer une société parfaite. Et si la perfection n'est pas de ce monde, il lui faut l'inventer. Pour cela, il est prêt à tout. Prêt à repousser les limites de l'humanité. Prêt à repo...