11. Amy

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Cela faisait dix jours que la jeune louve avait quitté Phoenix. Dix jours qu'elle était livrée à elle-même. Dix jours qu'elle parcourait les continents, sur les traces de sa mère, mais surtout sur les traces de sa liberté et de son indépendance.

Dix jours et ce soir, elle devait affronter la pleine lune.

Elle avait élu domicile au creux de la forêt amazonienne depuis deux jours. Elle s'était acclimatée à l'environnement, avait trouvé ses marques. Mais ce soir, tout cela allait prendre un tournant.

Après avoir fait du stop jusqu'à la lisière de la forêt, elle s'était enfoncée dans cette dernière. Elle n'avait croisé personne. Pas un seul humain, ni aucun animal. Elle savait que ces derniers étaient là, tapis dans l'ombre. Ils devaient tous sentir sa louve s'affoler à l'intérieur d'elle.

Sa louve prédatrice.

Amy n'arrêtait pas de se répéter que tout irait pour le mieux. Qu'il n'y avait pas de raisons que cela se passe mal. Qu'après tout, elle était seule – ou presque – dans cette forêt. Elle essayait de s'en persuader, encore et encore.

Minuit. Amy s'était installée à l'entrée de sa tente. Le ciel avait revêtu sa robe lumineuse. Elle admirait la beauté des étoiles et de la lune, bientôt pleine. Un dialogue sourd s'établissait entre l'astre nocturne et ses entrailles. Ils s'apprivoisaient.

Tout à coup, la douleur. Tout s'accélérait. Sa louve voulait faire son entrée pour sa nuit de liberté.

Amy ne put retenir ses cris. Couchée sur le sol, recroquevillée par la douleur, elle se laissait doucement sombrer. Certaines parties de son corps s'étiraient, pendant que d'autres se rétractaient. Ses griffes poussèrent, sa fourrure apparut.

Bientôt, elle n'aura plus rien d'humain.

Bientôt, elle sera louve.

*

Cours, cours.

A travers la forêt, je découvre mon nouveau territoire. Je m'imprègne des lieux. Je repère mes proies.

Cours, cours.

A travers la forêt, je suis aux aguets. J'entends les oiseaux de la nuit hululer et sens les quadrupèdes fuir ma présence.

Cours, cours.

A travers la forêt, je m'égare, j'élargis ma trajectoire, je profite de mes quatre pattes. Je sens la lune exercée son attraction sur moi. Cette attraction qui s'amenuise au fur et à mesure que le temps passe.

Cours, cours.

A travers la forêt, une proie dans mes filets. Je m'arrête. Je la mords, lui arrache la jugulaire et la vide de son sang. Ce corps sera mon repas pour la nuit.

Cours, cours.

A travers la forêt, mon pelage est souillé. Je cherche un cours d'eau, où m'abreuver et me nettoyer. Je le trouve et me désaltère.

Cours, cours.

A travers la forêt, je suis repue. Mes chaines brisées, j'ai pu profiter de ma liberté. La lune va bientôt disparaitre et moi aussi.

Mais ce n'est pas un adieu.

Juste un au revoir.

*

C'est avec beaucoup d'émotions qu'Amy se réveilla ce matin là. Un tourbillon de contradictions avait élu domicile au plus profond de son être.

Elle était effrayée à l'idée d'ouvrir les yeux. Elle se revoyait, le mois dernier, découvrir qu'elle avait massacré une vie humaine. Elle ne voulait pas revivre cela.

Elle était fière. Fière d'être arrivée jusque là, seule. Fière d'avoir pu gérer l'organisation jusqu'au bout de manière indépendante. Fière de ne pas s'être fait surprendre par sa transformation. Fière d'avoir trouvé le courage d'attendre patiemment que la transformation ait lieu.

Elle était joyeuse et apaisée. Mais ça, elle ne savait pas l'expliquer. Elle se demandait si ce n'était pas des reliquats de sa nuit laissés par sa louve.

Enfin, elle était agacée. Agacée, parce qu'elle pensait seulement maintenant au fait qu'elle aurait pu marquer les arbres pour se repérer. Elle ne savait pas à quel point sa louve s'était avancée dans la forêt et elle aurait sûrement du mal à retrouver son campement.

Après quelques minutes d'appréhensions, elle se décida enfin à ouvrir les yeux. Elle ne comprit pas tout de suite ce qu'il s'était passé. Elle était de retour à son campement, dans sa tente. Comme si sa louve avait eu de l'égard pour elle.

Puis, des images mentales la submergèrent et ce qui se déroulait devant elle l'émut aux larmes. Sa louve lui racontait sa nuit. Elle vit tout. Sa louve évoluer dans la forêt, heureuse. Sa louve chasser une proie animale. Sa louve affamée se nourrir. Sa louve s'hydrater et se nettoyer. Sa louve retourner dans sa tente au lever du soleil, reconnaissante.

Comment cela était possible ? On ne lui avait jamais parlé d'une telle connexion !

Amy s'allongea et se mit à pleurer. Elle pleurait encore et encore. Mais ce n'était pas des larmes de tristesse. Elle venait d'avoir une révélation. Sa louve et elle n'étaient pas en opposition. Elles faisaient partie d'un tout.

Amy lui avait donné la liberté qu'elle méritait et sa louve lui avait apporté de la reconnaissance et ses souvenirs. Les pleines lunes ne seront plus mystérieuses. Amy saurait tout et ne les redouterait plus autant.

Elle se sentait épanouie et vide à la fois. Cette découverte changeait complètement sa perspective. L'avenir n'était plus sombre. Elle commençait petit à petit à accepter toutes les facettes de sa nature.

Un changement s'était opéré en elle. Elle se sentait plus en confiance, plus indépendante, plus libre. Un accord tacite s'était instauré entre elle et sa louve. Elles s'accorderaient mutuellement de l'espace, du temps et du respect. Elles feront en sorte, dans la mesure du possible, de ne plus empiéter sur l'autre. Amy accordera sa confiance à sa louve et la laissera agir comme elle l'entend lors des pleines lunes, sans appréhensions. De son côté, sa louve ne se manifestera plus en dehors des pleines lunes. Amy pourra gérer ses émotions et ne risquera plus l'exposition de son identité à chaque seconde de chaque jour.

Amy était soulagée. Elle savait que cette nouvelle configuration, cette nouvelle complicité était à travailler et que rien n'était gagné. Mais elle savait aussi qu'elle était libérée d'un poids. Elle avait repris confiance en elle, en sa louve et en l'avenir.

Elle réalisa que l'expérience n'était pas forcément gage de sagesse. La meute de Phoenix lui avait enseigné une manière de gérer la pleine lune qui était la plus adaptée selon eux. Ils ne se rendaient pas compte à quel point ils avaient tort. Ils ne réalisaient pas qu'à force de brider leurs loups intérieurs, c'est eux-mêmes qui les rendaient ingérables.

Elle était déjà envahie auparavant par le besoin de s'affranchir de sa meute. Elle n'arrivait pas à s'inscrire dans ce groupe qui était censé être sa famille. Pour elle, cette meute ne représentait qu'une bande d'étrangers donneurs de leçons et liberticides. A présent, son besoin de quitter la meute pour devenir louve solitaire était décuplé.

Cette pleine lune fut l'électrochoc dont elle avait besoin. Et elle n'avait qu'une hâte, c'était de partager la nouvelle avec ses amis.

Un Lou(p)rd Secret - Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant