CHAPITRE 4: GAËLLE
J'ai passé toute la matinée - enfin ce qu'il en restait puisque je me suis levé à onze heures - à ranger ma chambre parce que c'était vraiment le bordel et j'ai aidé ma mère à nettoyer le salon et la cuisine pour sa soirée tarot hebdomadaire. Elle y joue tous les samedis avec ses amies et cette semaine, c'est à la maison qu'il faut que ça se passe. Et comme je suis un bon fils, je lui ai filé un coup de main pour laver les assiettes qui traînaient dans l'évier depuis au moins quatre jours.
À midi, j'ai essayé d'appeler les gars pour aller manger un kebab mais Jules avait un repas de famille et Gaëtan n'a pas répondu. Alors je suis resté à la maison et j'ai mangé le reste de gratin de brocolis de la veille tout seul parce que maman était partie je-ne-sais-où. J'avais vraiment les boules d'être tout seul parce que cela voulait dire qu'à part les copines de ma mère, je n'allais voir personne aujourd'hui. D'habitude le samedi, soit je traîne avec les garçons, soit j'ai rendez-vous avec une fille. Par exemple, samedi dernier j'étais avec Lisa, chez elle et on regardait un film dans son salon pendant que sa sœur faisait des allers-retours entre sa chambre et la cuisine qui est à côté du salon - ce qui fait que je peux affirmer que Lisa et sa sœur sont aussi jolies l'une que l'autre.
Finalement, après avoir passé une heure à glander devant une émission de rénovation de maison américaine - avec le doublage par dessus la voix originale bien entendu - j'ai décidé de me bouger un peu et j'ai pris ma veste en jean et je suis parti. J'ai marché un peu sans but et puis en arrivant à quelques mètres du parc, ma destination m'est apparue comme une évidence : je devais aller au parc pour retrouver la fille au dessin. Je veux savoir qui est cette fille que j'ai croisé hier avec son horrible pull en laine et qui a fait un dessin de moi. Je suis certain que ce dessin me représentait : non seulement on voyait clairement le détail du banc et de la poubelle qui déborde juste à côté mais en plus la personne dessinée avait des cheveux bruns et bouclés. Mes cheveux bruns et bouclés.
Elle est là. Assise sous le vieux chêne en face de mon banc. Même si je suis encore à une assez longue distance d'elle, je suis sûr de moi: c'est elle. Alors je m'approche doucement. Ses cheveux roux s'envolent devant son visage penché sur un cahier posé sur ses genoux. Elle a un crayon à la main et dessine. Je l'imagine me dessiner à nouveau et me dis que peut-être qu'elle a déjà réalisé plusieurs portraits de moi à mon insu. J'ai atteint le banc quand je réalise ce à quoi je viens de penser: c'est évident que cette fille m'a déjà dessiné. Si elle a un dessin de moi, elle en a sûrement au moins un autre. Je m'approche donc d'elle pour lui demander et en avoir le cœur net:
— Salut.
Elle lève la tête vers moi et son visage s'empourpre mais elle reste muette.
— Je fais vraiment si peur que ça ? demandé-je. T'es presque partie en courant hier. Et tu m'as foutu un sacré vent.
Elle secoue la tête avant de sourire timidement. Elle ne me répond toujours pas verbalement et, si je ne l'avais pas entendue parler hier, j'aurais juré qu'elle est muette. Je m'assois sur le gazon, à côté d'elle pour la forcer à croiser mon regard.
— J'ai une question à te poser mais tu vas devoir répondre sincèrement et surtout, ne pas partir en courant.
Elle m'invite à poursuivre d'un mouvement de tête :
— Est-ce que tu as fait d'autres dessins de moi?
Elle ne parle toujours pas et cela m'énerve. J'ai envie d'entendre le son de sa voix. J'ai envie de savoir si sa voix est aussi douce et timide que ce qu'elle dégage. Je l'imagine à la fois douce et fluette. À la fois timide et assurée. Au lieu de me répondre, elle tourne les pages grisées de crayon de son cahier et s'arrête sur un dessin. On y voit le banc et trois silhouettes dont une est mieux détaillée que les autres: je reconnais Jules, Gaëtan... et moi.
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Toutes les filles du monde
RomanceTiméo a deux problèmes : sa maladresse et son incapacité à porter son attention sur une seule fille à la fois qui lui font souvent mal au cœur. Se faire larguer lui est devenu régulier. Et il y a Laurène, cette fille que personne ne remarque jamais...