CHAPITRE 10: EMMA
Il fait beau ce matin. Et j'adore quand il fait beau le samedi, ça veut dire que je vais pouvoir sortir avec les gars ou aller voir si Laurène est sortie au parc aujourd'hui.
— Mon lapin? appelle ma mère du bas de l'escalier. Tu as du linge à laver?
C'est toujours la même chanson le samedi matin, on dirait qu'il n'existe pas de meilleur jour pour faire la lessive. Je ramasse deux jeans, quelques tee-shirts et caleçons, une quantité étonnament grande de chaussettes et un sweat-shirt qui traînent ici et là avant de descendre vider mes bras dans la machine à laver.
— Dis maman, commencé-je en m'asseyant sur une chaise de la cuisine. Est-ce que quand une fille parle presque pas ça veut dire qu'elle s'ennuie?
Elle lève les yeux de son ordinateur et me regarde droit dans les yeux:
— Il y a une fille qui a l'air de s'ennuyer avec toi?
— Oui, enfin non. Je sais pas, c'est bizarre, elle parle jamais et elle continue de faire ses trucs pendant que je lui parle.
— Tu sais mon lapin, déclare Maman. Les filles ont besoin d'attention, elle trouve probablement que tu ne lui en donne pas assez. Qu'est-ce qu'elle aime?
Je hausse les épaules:
— Dessiner et...
Je réfléchis deux minutes avant de me rendre compte de l'évidence:
— J'en sais rien.
— Et bien la voilà ta réponse, demande-lui ce qu'elle aime et elle ne s'ennuiera plus.
Une autre raison qui prouve que ma mère est la meilleure: elle trouve toujours une solution pour tout.
•••
Aller au parc le samedi après-midi est devenu une habitude pour moi depuis que j'ai rencontré Laurène. Cette fille-là, elle n'est pas comme les autres. Déjà parce qu'elle ne parle pas, et parce qu'elle a l'air de se foutre de savoir si je viens la voir ou pas.
— Parle-moi de toi, annoncé-je à peine assis sur l'herbe sous le chêne du parc à côté de Laurène.
Pas de réponse. Je scrute le visage de la rousse, penché vers son carnet de dessin. Il est aussi rouge que les coquelicots qui poussent non loin de nous. Comme d'habitude, c'est de ma faute, et je me rend compte que mes mots sont assez maladroits. C'est vrai, Laurène n'a pas l'air d'être très bavarde et je la pousse à parler avant même lui avoir dit bonjour.
— Je veux dire... tenté-je. Je te parle beaucoup de moi, et je ne sais rien de toi. Et j'ai vraiment envie d'apprendre à te connaître, vraiment.
Elle lève finalement la tête et j'en profite pour la regarder droit dans les yeux dans l'espoir qu'elle réagisse. Elle ouvre la bouche comme si elle allait parler et je crie victoire intérieurement, avant de la voir se raviser.
— Je vais encore parler si tu ne dis rien et je risque de te casser les pieds.
J'obtiens un sourire de sa part. Un sourire timide mais sincère. Et j'aime beaucoup ça.
— Je... J'aime pas beaucoup parler, finit-elle par dire.
— J'avais compris, ironisé-je. Mais pourquoi?
Elle hausse les épaules:
— J'en sais rien... On m'a toujours dit que...
— Que quoi? l'interrompis-je en me redressant, avide d'en savoir plus sur elle.
— Que ce que je disais était moins important.
Et ce que j'apprend me brise le coeur.
J'aimerais lui dire que ce n'est que des conneries, que ce qu'elle dit est de l'or à mes yeux, mais je ne la connais pas depuis suffisamment longtemps pour être certain qu'elle ne va pas se braquer à nouveau. Au lieu de cela, je me rapproche d'elle en posant ma main sur son épaule. Et elle ne me repousse pas, ce qui relève du miracle.
— Qui a dit une chose pareille?
Ses jolis yeux verts se remplissent de larmes. J'espère ne pas avoir touché un point trop sensible. Et je veux empêcher ces larmes de couler.
— Ma soeur.
Comme si mon coeur n'était pas assez brisé, il se réduit à nouveau en miettes. Quel genre de personne peut avoir le culot de faire une chose pareille à un membre de sa famille? A Laurène qui plus est. Elle a l'air toute fragile, comme une poupée en porcelaine qu'on ne doit surtout pas casser. Et là je commence à apercevoir les fissures dans la porcelaine: quelqu'un l'a déjà brisée et la fille en face de moi n'est faite que de morceaux de porcelaine maladroitement assemblés. Et je compte bien panser ses blessures.
Je veux en savoir plus mais je ne veux pas la brusquer alors je me risque à poser une autre question:
— Parle-moi de ta soeur, elle s'appelle comment?
— Emma, murmure Laurène en reniflant. Elle a vingt-cinq ans et... elle m'a toujours dit que... que j'étais pas importante.
— C'est faux, m'insurgé-je en la regardant droit dans les yeux.
La colère monte en moi et je bous comme un volcan prêt à entrer en éruption. Il y a des choses que je ne comprendrais jamais, et arriver à convaincre une personne qu'elle n'est pas importante en fait partie. Devant moi, les larmes de Laurène ont franchi la barrière de ces cils et perlent le long de ses joues. Et je ne peux pas les laisser abîmer son joli visage. Alors je pose mes mains dans sa nuque et attire son front contre le mien pour la forcer à croiser mon regard.
— Tu. Es. Importante. Ne crois pas le contraire parce que c'est pas la vérité. Tu es bien plus importante que tu ne le crois et ça me tue de voir que tu ne le sais pas. Il y a des gens autour de toi qui font attention à toi et tu ne le sais pas parce que tu penses que tu n'es pas importante. Je fais attention à toi. Parce que tu es importante pour moi.
_
Ce chapitre est un peu plus court que d'habitude mais je ne le voyais pas se terminer autrement que là-dessus. Dites-moi ce que vous en avez pensé.
a.
PS: juste au cas où vous l'oubliez de temps en temps, vous comptez, vous êtes importants et vous êtes aimés. ♡
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Toutes les filles du monde
RomanceTiméo a deux problèmes : sa maladresse et son incapacité à porter son attention sur une seule fille à la fois qui lui font souvent mal au cœur. Se faire larguer lui est devenu régulier. Et il y a Laurène, cette fille que personne ne remarque jamais...