Toutes les filles du monde

CHAPITRE 3: Mathilde

CHAPITRE 3: MATHILDE

Je suis déjà dépassé par les évènements. Lisa a déjà répandu sa rumeur auprès des filles de terminale. Toutes. Je le sais parce que ce matin en arrivant, plusieurs filles m'ont lancé des regards assassins. Quand bien même je leur dirai la vérité, la solidarité féminine les ferait se ranger du côté de Lisa dans tous les cas. Même certains mecs m'ont regardé comme si j'avais commis un crime. Les autres se réjouissent du célibat de Lisa ou s'en fichent.

À la pause de midi, Mathilde est venue me voir alors que je traînait devant le lycée avec Jules pendant que Gaëtan essayait de pécho une première qui fumait, adossée contre la grille.

— Et dire que je suis sortie avec un connard comme toi, m'a-t-elle craché. J'en reviens toujours pas de comment j'ai pu faire une chose pareille.

Je suis resté silencieux jusqu'à ce qu'elle me lance un regard noir et qu'elle s'éclipse en faisant voler ses cheveux châtains derrière elle. Mathilde est vraiment une fille époustouflante et je l'ai beaucoup aimée tout le temps où on est sortis ensemble mais elle m'a quitté pour se taper un ancien du lycée qui la draguait lourdement pendant qu'on était ensemble. J'ai appris qu'elle flirtait avec lui par Jules qui l'avait entendu en parler avec sa voisine de cours en allemand. Je n'avais jamais vu cette facette de connasse de sa personnalité et je commence à me demander si je ne suis pas sorti qu'avec des connasses qui faisaient semblant d'être adorables parce que c'est ma deuxième ex qui se révèle méchante en deux jours. Et les filles sont mesquines.

•••

La journée a été éprouvante et à dix-sept heures, j'ai perdu mes deux alliés, qui m'avaient aidé à supporter les regards meurtriers des filles de terminale. À contrecœur, j'ai dû aller en latin. Je n'aime pas trop le latin. Traduire des textes n'est pas vraiment la tasse de thé, surtout quand on est quatre terminales. La prof nous fait cours en même temps qu'elle fait cours aux sept premières qu'elle a pour avoir deux heures de libres. Mais j'ai beau dire, le latin est le seul cours où je ne fais pas me faire fusiller du regard parce qu'il n'y a qu'une fille de terminale dans ce groupe et qu'elle ne m'aime pas donc elle m'ignore.

J'aime bien avoir latin avec les premières parce qu'il y a une fille super mignonne dans le groupe. Je n'ai jamais su comment elle s'appelle parce que la prof ne fait jamais l'appel et parce que je suis assis tout au fond de la salle alors qu'elle est plus vers l'avant. Elle a les cheveux bruns qu'elle coiffe toujours différemment. Aujourd'hui, ils sont tressés jusqu'au milieu de son dos. Elle a les traits du visage très fin, comme une poupée et de fines lèvres rosées que j'aimerais bien embrasser un jour. Le latin est le seul moment où je la croise parce que Dieu sait comment elle arrive à rester planquée loin de moi dans ce petit lycée.

En latin, il y a aussi Mathis. Ce mec est un mystère pour moi. Il n'a absolument rien à faire ici après quatre heures de l'après-midi alors que tout le reste du lycée est sorti. Et ce n'est pas un préjugé que j'ai de lui, il n'a réellement rien à foutre en latin et la partie de Candy Crush qu'il vient de commencer peut en témoigner. Une fois, je lui ai demandé ce qu'il faisait là et il a juste haussé les épaules. Ce mec est hallucinant.

— Dis, a commencé Mathis en levant les yeux de sa partie. Maintenant que t'as plaqué Lisa je peux me la taper, hein?

Autre chose concernant Mathis: il n'a vraiment aucun respect envers les filles.

— Si t'aime les emmerdeuses, fais-toi plaisir, soufflé-je en tournant les pages de mon livre de latin.

À la fin du cours, je suis sorti de la salle, accompagné par Mathis qui venait de terminer le niveau six cent de Candy Crush. Nos chemins se séparent devant le parc, lui partant à gauche et moi le traversant. Je profite qu'il fasse encore beau pour aller m'asseoir sur mon banc et prendre cinq minutes avant de rentrer à la maison.

Le ciel a beau être dégagé et la température agréable, il y a quand même beaucoup de vent. Je ne m'en rend simplement pas compte tout de suite. C'est seulement quand je me prend une feuille de papier dans le visage que je comprends que j'aurais dû rentrer directement.

La feuille de papier que je me suis pris dans le visage n'est pas un déchet : il y a un dessin dessus. Les traits sont plus appuyés à certains endroits et représentent une silhouette assise sur un banc. Sur ce banc. Et là je comprends : c'est moi sur ce dessin.

— Euh... Excuse-moi, murmure une voix douce au dessus de moi. Tu peux me rendre moin dessin s'il-te-plait?

Je lève la tête pour voir qui a parlé et croise le regard d'une fille debout devant moi. Elle porte un pull en laine pas joli du tout et a de longs cheveux roux. Son visage rond est ponctué de taches de rousseur et ses joues roues traduisent son malaise. Je la met mal à l'aise.

— S'il-te-plaît...insiste-t-elle.

Elle est vraiment mignonne et je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'elle dirait si j'essayais de flirter avec elle.

— T'es très jolie, dis-je en lui souriant. Tu me donnes quoi en échange de ton dessin?

Elle pique un fard - alors que son visage est déjà écarlate - et je me rends véritablement compte de son malaise. Merde, quel con! Ce n'est définitivement pas comme cela que je vais pouvoir obtenir quelque chose d'elle. Et bizarrement, j'en ai vraiment envie.

— Désolé, je m'excuse en lui rendant son dessin. Dis, c'est toi qui l'a fait?

— Oui, souffle-t-elle dans un murmure.

— Il est cool.

Et je suis sincère en lui disant cela. Son dessin - même s'il me fiche la trouille parce que c'est moi - est beau, harmonieux. Je meurs d'envie de lui demander pourquoi elle a fait un dessin de moi mais je ne le fais pas. J'ai peur qu'elle se braque et qu'elle flippe ou pire, qu'elle s'enfuie en courant. Au lieu de cela, je regarde avec attention ses jolis yeux bleus en lui souriant jusqu'à ce qu'elle détourne le regard, ce qu'elle fait rapidement. 

Au moment où elle s'apprête à partir, je l'interpelle une dernière fois:

— Je peux quand même savoir comment tu t'appelles, non?

Elle secoue la tête de gauche à droite en guise de réponse et j'insiste:

— Tu as fais un dessin de moi, tu me dois bien ça!

Mais au lieu de me donner la réponse que j'attendais, elle se dirige vers le chêne en dessous duquel elle récupère ses affaires. Elle m'a ignoré et je ne compte pas en rester là. Il faut que je la retrouve.

Il faut que je sache qui est la jolie fille du parc qui a fait un dessin de moi.