VI

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Constance passe sa main par la fenêtre pour sentir le vent lécher ses doigts. Elle fait ça à chaque fois que la météo le permet. Ça lui permet de se rappeler qu'elle est vivante. Elliot siffle au volant. Il jouit intérieurement d'enfin pouvoir conduire la vieille Chevrolet. C'est un privilège que se réservait Théo. Elliot retient sa cigarette entre ses dents. C'est le seul détail qui le rapproche de Théo. Elliot aime la sensation que lui procure la nicotine. Ça efface ses vieux démons. 

Les chansons préférées de Théo résonnent dans l'habitacle de la voiture. Constance sait pas combien elle va tenir avant de craquer une fois de plus. Elle sent le soleil contre son visage et le bracelet que lui a offert Elliot danser à son poignet. C'est pas ça la vie. On est censé vivre des moments agréables. Mais, depuis que Théo est partit, il y a que du vide autour d'elle. 

Constance dérobe la cigarette d'Elliot et la glisse à son tour dans sa bouche. La fumée s'infiltre dans sa gorge et elle parvient pas à répimer une quinte de toux. Elliot se moque ouvertement d'elle. Constance se trouve tellement pathétique qu'elle se joint à l'hilarité de son ami. C'est le matin et la plage est déserte. Il y a une jetée un peu plus loin.

- Arrête-toi là.

Elliot obéit. Il gare la Chevrolet sur le bas côté et suit Constance sur le ponton en bois. C'est pas bien stable. Mais toujours plus que leur situation émotionelle. Constance avance en luttant contre les bourrasques de vent. Au plus profond d'elle, il y a rien d'autre que le néant. Elliot se poste à ses côtés une fois à l'extrémité de la jetée. A cet endroit la barrière est détruite. 

- Je veux me sentir vivante.

Elliot lance un regard en coin à Constance. Il sait qu'il peut pas remplacer Théo. Il est blond là où Théo était brun. Il est pas branché musique là où Théo chantait dans un groupe de rock. Il est australien là où Théo détenait le charme à l'anglaise. Elliot veut rassurer Constance sur le fait qu'elle peut pas être plus vivante quand il la voit retirer son pull en laine. 

- Qu'est-ce que tu fou ? Il fait pas plus de dix degrés !

Constance continue de se dévêtir, jusqu'à sentir sa robe glisser contre ses jambes pour rencontrer le bois de la jetée. Elle se retrouve en sous-vêtements et il y a le vent glacial qui se frotte à sa peau. 

- Suis-moi, Elliot.

Constance désigne la mer du menton. Elliot secoue négativement la tête. Il se souvient bien d'avoir suivit Constance dans ses aventures délirantes auparavant. Mais, il faut être suicidaire pour plonger dans l'eau froide par ce temps. 

- Je suis asthmatique, tu te rappelles ?

Elliot la voit soupirer en même temps qu'elle grelotte.

- Vous les hommes, vous êtes toujours malade quand ça vous arrange, il me semble que tu t'en soucies pas de ton asthme quand il s'agit de fumer comme un pompier !

Elle le défit du regard. Et, Elliot retrouve l'ancienne version de Constance. C'est son tour de soupirer. Mais, ses habits finissent par rejoindre ceux de son amie. Ils ont l'air de deux parfaits imbéciles. Ils se prennent par la main. Leurs regards se croisent comme si c'était la première fois et, ils choisissent de sauter sans y penser. 

L'eau est gelée, évidemment. On entend leurs cris depuis la plage. Mais ils s'en fichent. Constance se contente de rire à gorge déployée. Elliot se cramponne à un pilier de la jetée. 

Ils se sentent vivant. Elle est vivante.

Correspondance à un revenantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant