Correspondance à un revenant

XI

Constance dépose le vieux disque des Beatles de Théo dans la chaine hi-fi. Instinctivement elle ferme paupières et sent un sourire fendre ses lèvres. Les paroles de Yellow Submarine jaillissent dans son esprit, intactes. Elle se met à les fredonner silencieusement, souriant de toutes ses dents. Ils étaient à Amsterdam avec Théo et, il s'était levé dans le bus pour chanter cette chanson à tue-tête. Pour une fois, la nostalgie ne la frappe pas avec autant de vivacité que la joie qui se découle de ce souvenir. 

- Constance ? Tu es prête à lire la lettre du jour ?

Elliot interrompt son bain quotidien dans les méandres de ses souvenirs. Il ne fait aucun commentaire désobligeant sur le choix musical de Constance. Elle opine du chef et vient s'installer aux côtés de son ami sur le canapé. L'album continue de tourner et, Constance se dit que Hey Bulldog pourrait très bien être marqué du souvenir de cet instant mémorable. 

« Jour 7; le parc.

Tu te rappelles à quel point tu aimais t'y promener ? Presque tous les dimanche tu me trainais hors du lit pour m'obliger à te suivre dans tes balades dominicales. Au début, je dois avouer que cette manie était plus usante qu'amusante. Mais, avec le temps j'ai appris à apprécier cette habitude. On s'asseyait sur le banc près du lac et on observait les canards comme un couple de personnes âgées.

Au plus profond de moi, j'ai commencé à développer de l'affection pour ces promenades, ce banc. A vrai dire, c'était surtout le fait de me dire qu'un jour, peut être, nous pourrions être ce couple de personnes âgées. Tu sais, bien que je ne sois pas un romantique né, il m'arrive de penser à un avenir lointain pour nous deux. Enfin, c'était avant de savoir que j'irai pas jusqu'à mon vingt-deuxième anniversaire.

En bref, j'aimerais que tu emmènes Elliot avec toi au parc aujourd'hui et, que tu lui fasses découvrir nos petites habitudes. Peut être même que vous pourriez prendre l'habitude d'y aller tous les dimanche. Dis seulement à Elliot de te changer les esprits. Je sais qu'il est plutôt doué pour ça. »

Constance pose la lettre sur la table basse et lance une oeillade à Elliot. La demande de Théo ne l'étonne qu'à moitié. Le seul détail qui la chiffonne c'est qu'il veuille qu'elle partage leurs moments avec Elliot. Mais, depuis qu'elle doit se faire à l'idée que Théo ne reviendra pas, elle se dit que c'est pas plus mal de les vivre avec son ami le plus cher.

- Va te préparer, on part dans vingt minutes.

Elliot exerce une légère pression sur son épaule avant de se faufiler dans la cuisine. Constance entend les bruits de casserole et les portes du placard qui claquent. C'est devenu quotidien pour Elliot de cuisiner quand il est nerveux.

Constance lui laisse sa sphère privée et se dirige dans la salle de bain. Une de ses robes l'attend sur la commode et elle découvre un petit bouquet de fleurs sauvages à côté du pot à brosses à dents. C'est une attention bienveillante d'Elliot. Et, en y pensant, c'est vrai que Théo ne faisait pas ce genre de chose. Il ramenait des viennoiseries avant qu'elle ne se réveille, il lui composait des chansons aux paroles hilarantes qu'il lui chantait au lever du lit. Mais, Théo ne se contentait pas des gestes les plus simples.

Quand Constance sort de la salle de bain, fin prête, elle tombe nez à nez avec Elliot. Il l'attrape par les coudes pour l'empêcher de basculer puis, la détaille des pieds à la tête.

- J'ai bien choisi la robe, elle te va à ravir.

Un sourire amusé se peint sur les lèvres d'Elliot. Dans le passé Constance lui aurait gentiment tapé l'épaule avec un éclat de rire. Mais, elle se contente de lui rendre son sourire. Elliot comprend qu'il faut du temps pour réparer des cicatrices comme celles de son amie.

- Tu vas voir, cette journée va te faire le plus grand bien, Denver.

Il passe son bras autour des épaules de Constance. C'est un geste anodin qu'ils faisaient toujours avant que Théo ne débarque dans leur quotidien. Et, dans un sens, Constance se sent bien au creux des bras d'Elliot.