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La chaude pluie ruisselait sur mon corps tendu par la puissance de la peine. Insondable, elle pulsait dans mon esprit, anesthésiait mes sens, m'envoyait régulièrement des vagues de douleur. Même la cascade apaisante de la pluie ne parvenait pas à balayer mes émotions trop lancinantes. Un assaut se fit plus brutal que les autres, je hurlai lorsque la tension accumulée sous mon crâne devint insupportable.

Mon cri résonna dans mes tympans, mais je continuai jusqu'à n'avoir plus de voix, jusqu'à ce que cette sirène ait éloigné la brume.

Mais elle tenait bon, ne se clairsemait pas, opacifiait mon jugement pour briser mon corps sous la rage qui le consumait. Ce brouillard dans lequel j'étais plongé depuis deux ans qui, à force, rongeait mes os grâce aux souvenirs acides, m'empêchait d'apercevoir un quelconque horizon. J'étais coincé dans la tourmente et seul mon propre esprit m'empêchait d'en sortir. C'était douloureux, mais la réalité était bien pire. En effet, elle avait avancé, et moi pas. J'en étais toujours au même stade, celui de cendres, alors qu'elle avait refait sa vie comme si rien ne s'était passé.

Et pour son cerveau malade, c'était le cas.

          Malheureusement ma vie n'était devenue qu'un champ de ruines que rien ne pourrait reconstruire. L'explosion qui l'avait dévastée me hantait encore, et tant que je n'accepterais pas cette perte, rien ne pourrait me sauver. Je n'étais qu'une âme perdue dans le vaste monde, incapable de trouver quelqu'un à qui je pourrais m'attacher.

         Je marchais au hasard des rues, rien ne retenait mon attention, tout ce à quoi je m'étais intéressé était désormais engloutit par cette brume opaque.

          Mon esprit était envahi par les vagues.

          Le raz de marée ne tarderait pas à s'attaquer au reste de mon corps, impitoyable. Il n'y avait pas d'échappatoire. Sauf si...

          Mes pas me conduisirent dans un agréable square où je venais jouer, petit. Les nombreux jeux faisaient mon bonheur, j'adorais gambader gaiement jusqu'aux toboggans. L'un était si haut qu'un frisson d'appréhension m'envahissait toujours avant de m'élancer dans ce que j'imaginais être un vide immense. Désormais, il m'arrivait a peine à l'épaule.

          Soudain, une fillette arriva en courant, ses couettes volaient doucement au gré de la brise. Elle pleurait, et personne ne l'accompagnait. Elle ne tarda pas à s'élancer sur une nacelle, mais sa faible force la fit à peine bouger. Les larmes coulaient sur ses joues rebondies, et ses parents n'étaient pas là pour les essuyer.

          Je m'approchai alors, elle leva sur moi son regard mouillé, deux magnifiques yeux marron dévalé. Elle paraissait éplorée, presque désespérée, et sa peine devint instantanément mienne.

Hey, murmurai-je doucement, tu t'appelles comment ?

Ava, souffla-t-elle.

Du bout des doigts, j'essuyai délicatement sa joue, faisant naître une nouvelle larme dans ses yeux. Puis je poussai la nacelle où elle était assise, lui faisant prendre de la vitesse en direction du ciel.

Un sourire immense éclaira son visage, enflammant tout mon corps d'une joie intense. Les pleurs ne tardèrent pas à s'estomper, tout comme ma peine, à la façon d'une buée superficielle sur la vitre. Je montai à mon tour sur la nacelle, la fillette pressa son corps menu contre le mien, mon cœur rata un battement. Alors c'était ça...

Nous jouâmes longtemps alors que le soleil diminuait, mais pas son sourire qui agissait à lui seul comme un anti-douleur. Puis un homme entra dans le parc, et elle se précipita dans ses bras en riant. La joie m'envahit sous la vision de ce bonheur pur.

Et c'est à ce moment-là que je compris.

Il était inutile de vivre en regrettant un bonheur qui n'avait pas existé, il suffisait d'en chercher un autre, plus fort, plus puissant.

À un souffle de toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant