— Lucky ! Comment vas-tu ? s'exclama-t-elle.
Elle souriait tellement qu'elle devait en avoir mal aux joues, mais c'était communicatif car son armoire à glace de copain en faisait autant. De mon côté, j'étais aussi paumé que d'habitude, oscillant entre tristesse, haine et passion dévastatrice.
— Bien et toi... vous ? me repris-je, évitant le regard du métis.
Je me détestais d'en être réduit à bredouiller face à elle, de paraître si pitoyable et brisé. Détruit, par elle. Mais plus que ça, je la haïs, de toute la force de ma passion, pour ce regard compatissant qu'elle m'adressa. Comme si j'étais celui qui avait besoin de pitié, comme si j'étais celui qui était vide de l'intérieur et insensible. Surtout, insensible.
— Au top, elle adressa un sourire complice au gars avant de continuer, je ne me suis jamais sentie aussi bien !
Appuyant ses paroles, elle posa une main délicate sur son ventre presque plat dans un geste protecteur. Un aiguillon de souffrance pure me traversa, je vacillai. L'espace d'un instant, ma vue se troubla, de petits points brillants envahirent mon champ de vision. Le coup aurait pu me terrasser si je n'avais pas été face à elle, trop fier pour m'effondrer. Je tentai un sourire tremblant, les saluai et m'enfuis comme un lâche. La puissance de ma douleur était comparable à celle que j'avais ressentie, ce jour-là. Aussi puissante, profonde et ravageuse que des vagues en pleine tempête, détruisant tout sur leur passage.
Des larmes silencieuses roulaient sur mes joues, larmes que je n'avais pas laissé couler, à l'époque. Autrefois, j'avais encore quelqu'un pour qui tenir bon, qui avait besoin d'un appui, d'un roc. Ce rôle, je l'avais vaillamment endossé, même s'il m'avait coûté ma raison. Le prix de ces larmes trop longtemps retenues, de cette force inhumaine dont j'avais fait preuve, je l'avais ensuite payé au centuple. Tout ce que j'avais enduré en silence... pour rien. De mon être, il ne restait plus que des cendres.
Elle avait piétiné cette main que je lui tendais sans aucune pitié, aucun remord. Elle m'avait toisé, m'avait adressé son rictus vainqueur, et c'était tout. Alors, je m'étais retiré tel un animal blessé pour panser mes plaies. Seule la douleur avait tenu bon au milieu du chaos qu'était devenu ma vie. En quelques jours, tout avait basculé : une perte, une trahison, un manque incapable d'être comblé.
Et personne n'avait été là pour me soutenir, durant ces deux longues années. Enfin, pas celle qui comptait pour moi. À l'écart du monde, mais surtout, d'elle, j'avais tenté de me reconstruire à partir de cendres, bien moins majestueusement qu'un phœnix. Maintenant que je me sentais enfin mieux, elle revenait me bouleverser.
Quelque part, c'était dans l'ordre des choses, me faire ravager par celle que j'avais aimé, et pour qui je ne nourrissais plus qu'une passion dévastatrice. Et c'était dans la continuité de briser le cœur d'autres hommes dans la même situation que moi, par ma seule présence.
Ils étaient tous exactement comme je l'avais été.
Mais j'étais le seul à m'accrocher.
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À un souffle de toi
RomantizmIl ne manquait pourtant presque rien entre mon cœur brisé et son âme noircie, presque rien... Juste un souffle amer. #49 catégorie nouvelle le 09/05