L'Arlequin était un petit café tout cosy au coin d'une rue de la vieille ville. Les passants se demandaient souvent comment un établissement aussi peu fréquenté pouvait survivre. La vérité était en fait bien plus simple : les gens qui pensaient que l'Arlequin était en faillite n'étaient jamais rentrés dedans. Le café était tenu par un couple de cinquantenaires hauts en couleur. Les murs étaient peints en un dégradé de couleurs pastel, du rouge au jaune, au bleu ciel vers le violet. Le plancher stratifié reflétait la lumière du jour qui passait à travers les baies vitrées.
Jonas n'aimait jamais venir le jour. Non pas qu'il n'aimait pas sortir le jour, mais le café dégageait une aura plus paisible la nuit. Il se sentait chez lui, protégé de tout le monde. Jamais rien de négatif ne pouvait rentrer ici. Il franchit le seuil, sourit en entendant la petite clochette qui tinta au mouvement de la porte. Berthe leva la main, le hélant. Il s'approcha d'elle et elle le laissa passer derrière le comptoir. Avant qu'il n'ait pu dire un mot, elle le serra dans ses bras potelés, coinçant sa tête contre sa poitrine grasse.
- Ça fait tellement longtemps, claironna-t-elle avant de le relever.
Elle fronça les sourcils en passant ses mains sur les joues du jeune homme. Il avait le visage angulaire, avec un petit menton légèrement pointu et des pommettes saillantes. Ses yeux verts étaient ternes, comme éteints, ses cheveux mal coiffés tombaient sur ses épaules en paquets. Berthe pinça les lèvres quand ses yeux tombèrent sur celles de Jonas, crevassées, blanches et sèches.
- Tu as maigri, murmura-t-elle pour elle-même. Regarde-ça, Marcus, comme il a maigri le petit !
Marcus se tourna vers eux. L'homme, tout aussi bien en chair que sa femme, s'accouda au bar et secoua la tête, comme désespéré par ce qu'il voyait.
- De toute façon, les jeunes ça mange pu' rien. Si t'avais été not' gamin, tu serais aussi grassouillet que nous !
Jonas sourit sans rien répondre. Il ne souhaitait que ça, de toutes ses forces. Pouvoir manger, manger, et manger encore.
- Tu fais quoi alors ? Reprit Berthe à la va-vite, désirant changer de sujet. T'es à la fac ?
- Non, répondit-il évasivement, promenant son regard sur la salle.
- T'as pas redoublé ta Terminale hein.
- Non non...
- Bah alors...
- Laisse-le, Berthe, coupa Marcus depuis l'autre bout du bar, où il lavait une tasse. C'est un agent secret le p'tiot, c'est pour ça qu'il dira rien.Jonas acquiesça, taquin. Berthe haussa un sourcil, faisant saillir son double menton en baissant la tête.
- Bon allez, dit-elle en attrapant une tasse sur laquelle elle posa une étiquette portant son nom, va t'asseoir, on t'appellera quand ta boisson sera prête.
Il ne se fit pas prier et partit en direction d'une petite table du côté orange de la salle. Il posa ses fesses sur la banquette et étira ses jambes. Il avait vue sur la rue, au loin. Il voyait les couples qui passaient bras dessus bras dessous, riant aux éclats, une vieille dame, fatiguée mais sereine, qui cajolait son chat. Un homme d'affaire, pressé de retrouver sa femme, passa en courant, le regard droit sur sa montre, son porte-document pendant au bout de son poignet, un téléphone dans l'autre main. Tous ces gens avaient quelque chose qui les rendaient heureux. Mêmes fatigués, même pressés, ils ne pouvaient jamais être en colère. Ou triste. Il se leva à l'entente de son nom, les yeux toujours rivés sur la vitrine, et se dirigea vers le comptoir sans regarder où il marchait. Ses mains triturèrent le bas de son t-shirt presque trop court pour le rabattre sur son jean trop large. Il reporta son attention sur Marcus, qui le scrutait d'un air inquiet. Jonas tapota ses poches, à la recherche de la monnaie pour payer, mais le patron posa sa main sur son bras.
- On te l'offre, t'en fais pas. Tu pourras payer la prochaine fois.
Le jeune homme sourit en baissant les yeux. Il détestait avoir des dettes. Il tira la soucoupe vers lui et repartit s'asseoir. Plus personne ne passait devant l'Arlequin alors il se concentra sur les motifs que Berthe avait représenté dans la mousse. Il adorait les dessins de Berthe. Il sourit. Elle avait tracé un petit poisson. Un beau, avec des nageoires voluptueuses, pas un poisson d'avril fait à la va-vite. Il tourna la soucoupe pour voir son petit Nemo sous toutes ses coutures quand un détail attira son attention.
L'étiquette ne portait pas son nom. Il reconnut l'écriture presque calligraphiée de Marcus, mais il ne s'appelait définitivement pas Alice. Il inspecta la salle, cherchant la propriétaire de la tasse. Pour lui, personne ne pouvait correspondre à la description qu'il se faisait d'elle. Petite, les yeux ronds, une bouche pulpeuse, les cheveux en carré, bien coiffés, lisses.
- Euh.... Alice ?
Plusieurs regards se posèrent sur lui. Son cœur rata un battement. Il détestait par-dessus tout être le centre des attentions. Mais il voulait sa tasse, pas celle d'une autre, même si sachant qu'il n'aurait pas de réponse, il avait envie de se rasseoir et de boire le breuvage, peu importe ce que c'était.
- Personne ne s'appelle Alice ? Bon...
Il se rassit donc, sans demander son reste, et reporta son attention sur le poisson. Même si cette tactique ne marchait pas, il se confortait dans cette idée que s'il ne voyait pas les gens, les gens ne pouvaient pas le voir. Il tritura sa cuillère du bout des doigts, ne pouvant se résoudre à boire ça. C'était de toute façon improbable que quelqu'un ici boive la même chose que lui. Il allait plonger le couvert dans la mousse quand un mouvement se fit devant lui.
- Salut, Jonas.
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Salut :)
J'aime pas tellement demander des retours mais c'est la première fois que j'essaye de faire quelque chose de réaliste et totalement original. Du coup j'aimerais vraiment savoir ce que vous avez pensé de ce prologue, tous les avis sont bons pour pouvoir s'améliorer.
Bisous !
* Ce chapitre a été corrigé dans son intégralité.
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Le livre dans tes yeux [TERMINEE]
RomanceJonas est un jeune homme de dix-huit ans maigre, très maigre, trop maigre. Alice est une jeune femme trop heureuse pour l'être vraiment. Quand une tasse de latte les réunit par hasard les secrets éclatent, les blessures deviennent profondes, et l'...