Chapitre 7 : Regretter le passé

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Fatiha regardait tout le petit groupe, médusée. Elle se sentait transpercée par les yeux d'Irène qui pinçait les lèvres, attendant impatiemment qu'elle veuille bien appeler le médecin de garde pour signer la sortie. L'infirmière lui avait bien expliqué quels étaient les risques encourus vue la santé mentale encore fragile de son fils, mais elle n'avait rien voulu entendre. Paul s'était muré dans un silence, le visage fermé. Il n'était pas d'accord avec sa femme, mais il en avait assez d'être ici, d'être mal à l'aise. Il était encore détesté par son fils, rabaissé par son épouse, méfié par cette Alice, qui lui paraissait pourtant avenante.

Tous attendaient dans le bureau du médecin que celui-ci arrive. Paul faisait les cent pas, Irène avait pris place dans un des fauteuils en face du bureau, les jambes serrées, les mains à plat sur les genoux. Elle avait l'air d'une avocate dure en affaire. En fait, elle avait l'air d'elle-même. Jonas ne l'avait jamais vue détendue. Son travail d'avocate pénale la faisait travailler constamment. Ses livres de chevet ne la détendaient pas, puisque c'était ses propres dossiers. Même à la maison, quand elle avait cinq minutes devant elle, elle travaillait. Ça ne lui avait fait que du bien professionnellement parlant, puisque ses exploits au barreau l'avaient souvent propulsée à la Cour Pénale de Paris, où elle avait pu plaider pour des affaires bien plus sérieuses que des petites histoires régionales. Mais là, elle s'apprêtait à plaider contre son fils. Si elle gagnait, Jonas courrait à sa perte. C'était la pensée qu'Alice, debout près de la fenêtre, n'arrivait pas à chasser de son esprit.

Quand finalement Fatiha repassa la porte accompagnée du docteur Genet, Irène, comme montée sur un ressort, se leva et lui tendit sa main sèche.

- Je veux que mon fils sorte d'ici. Sa thérapie ne sert à rien puisqu'il va très bien.

Le docteur leva la main devant lui et respira un grand coup, comme pour se convaincre de rester calme. Bien qu'il adorait son travail et se démenait pour ses patients (qui par conséquents l'appréciaient beaucoup), il détestait être de garde le week-end. Avant de venir, il avait contacté le docteur Martin et lui avait demandé son avis, qui avait été sans appel.

- Madame Conrad, lui répondit-il d'une voix si calme qu'on aurait dit un chuchotement. Votre fils ne va pas bien du tout. Les progrès qu'il a montrés que très récemment ne sont pas suffisants pour qu'il soit raisonnable de le laisser sortir.

- Monsieur –

- Docteur.

- Docteur. Vous suivez peut-être la maladie de mon fils, mais je suis sa mère, et je sais ce qui est bon pour lui. Rester enfermé ici alors qu'il est attendu en école de commerce ne lui fait pas du bien.

Dans son dos, elle entendit Jonas soupirer si bruyamment qu'elle put l'imaginer parfaitement bien en train de lever les yeux au ciel.

- Peut-être, reprit le psychiatre, et je sais que c'est sur votre avis que vous nous l'avez amené parce que sa dépression commençait à le faire mourir. Et certes, le faire interner contre son avis parce que sa santé l'exige vous donne le droit de refuser des soins. Cependant, si nous estimons que sa santé mérite de prolonger son séjour en institution, nous avons le droit de ne pas tenir compte de votre avis.

- Quoi ? cracha la mère de Jonas, furieuse.

- Vous avez très bien entendu, madame Conrad. Ni moi ni mes collègues ne signeront cette décharge. Votre fils ne sortira pas d'ici.

- Mais... Jonas, tu sais très bien que j'ai raison. Écoute-moi.

L'intéressé s'avança vers elle et lui sourit tendrement.

- Irène, lui susurra-t-il. Tu veux juste que j'aille dans ta foutue école. Tu t'en fous de savoir si je vais bien ou pas. Alors cesse de faire comme si tu savais tout, et retourne t'occuper de tes taulards. Moi, je reste ici et je me fais soigner.

Le livre dans tes yeux [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant