Vautré dans son fauteuil en vieux cuir, une tasse de café bien trop chaude à la main, Paul gardait les yeux fixés sur le mur. Par endroit, la tapisserie vieille de quelques dizaines d'années dont l'éclat avait été rongé par la lumière du Soleil, s'était déchiré. De toute façon, pensa-t-il ironiquement, ça n'était plus son problème.
L'hôpital lui avait téléphoné deux semaines plus tôt pour l'informer que Jonas avait pu sortir d'isolement et que sa thérapie avait reprise sur un bon pied. Il avait demandé à parler à son fils, et il avait accepté. Ça l'avait ému aux larmes et le quadragénaire avait dû faire un effort considérable pour ne pas craquer. Son garçon s'était contenté de banalités comme "Je mange bien", "je dors encore beaucoup à cause des médicaments", "ça va mieux", mais Paul savait qu'il ne mentait pas pour lui faire plaisir. Sa voix était vraiment fatiguée à cause des antidépresseurs, mais d'après le médecin, il reprenait du poids lentement. Le plus difficile d'après lui, ça n'était pas de faire prendre du poids aux patients, c'était de leur faire accepter qu'un corps sain n'est pas laid, ni trop gros, et qu'on pouvait s'aimer et être aimé autrement qu'en étant en état de famine.
De son côté, Jonas s'était concentré sur sa thérapie. Manger n'était pas facile tous les jours et bien souvent, il fondait en larmes une fois son plateau fini. Il s'imaginait avec horreur un chiffre exorbitant s'afficher sur la balance, mais à chaque fois qu'il était passé dessus depuis sa sortie d'isolement, il reprenait du poids petit à petit, jamais assez pour passer d'un poids presque correct à un poids beaucoup trop élevé.
C'est pour cette raison que quand Jonas eut enfin une permission pour passer les fêtes de Noël en famille (le garçon avait pouffé : "en famille..."), il prit bien soin de téléphoner à Alice préalablement. Celle-ci, encore dans le gaz de si bon matin, décrocha en baillant :
- J'espère que t'as une bonne raison de me sortir du lit le seul jour de la semaine où j'ai droit à un congé...
- Oui, désolé, s'excusa-t-il précipitamment. En fait, j'ai droit à une perm'. Et hum... comment dire...
- Laisse-moi deviner : t'as pas envie de rentrer chez toi. Je comprend Jo', la dernière fois que t'as vu tes parents, j'étais là.
- Oui, renchérit-il. Je vais quand même téléphoner à mon père pour savoir comment ça va s'organiser à Noël, je crois qu'une visite chez mes grands-parents est prévue avec lui... je vais bien voir. J'te tiendrais au courant. Tu fêtes Noël comment toi ?
- J'ai pas encore décidé Jo'.
- Mais on est déjà le vingt ! C'est dans quatre jours.
Un silence se fit, puis Jonas entendit un long soupir. Alice grogna, puis déclara :
- Je fête pas Noël Jonas. C'est pas mon truc. Personne le fait dans ma famille. C'est combien de temps ta perm' ?
- Une semaine, le temps des fêtes. Ils me feront quand même venir avant pour la consultation du mois, en externe. Mais à part ça... je reviens là-bas si j'ai envie.
- Je vois, soupira-t-elle. Tu arrives à quelle heure ?
- Bah en fait... attends, tu veux bien ?
Alice, de l'autre côté du téléphone, esquissa un sourire endormi.
- Jonas, il n'a jamais été question que je te laisse dormir dehors. Je t'envoie l'adresse sur Messenger. T'arrives à quelle heure ?
- J'en sais rien, quand tu veux.
- J'te prépare le clic-clac (il est neuf, tu seras bien dessus). Sonne quand t'arrives, moi je retourne me coucher.
- Désolé, je viendrais quand tu seras réveillée.
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Le livre dans tes yeux [TERMINEE]
RomanceJonas est un jeune homme de dix-huit ans maigre, très maigre, trop maigre. Alice est une jeune femme trop heureuse pour l'être vraiment. Quand une tasse de latte les réunit par hasard les secrets éclatent, les blessures deviennent profondes, et l'...