Chapitre 16 : La bulle noire

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Alice resta distraite la semaine qui suivit. Plus pâle que la veille, elle rangeait les livres d'un air absent, prêtant à peine attention à ses gestes. Yves s'inquiéta pour elle, lui proposa régulièrement de prendre des pauses. Elle refusa poliment, tenta de se reprendre. Comment pouvait-elle lui expliquer ce qui lui polluait l'esprit sans prendre des heures ? D'autant plus qu'elle ne voulait garder ça que pour elle. Non, en parler n'était définitivement pas une option.

La jeune femme termina sa journée sous l'œil attentif de son patron. Il aurait bien aimé lui offrir un jour de congé, mais après les fêtes, les gens revenaient souvent en masse pour acheter un livre conseillé, une suite de saga, ou échanger des livres en doublon. C'était trop intense pour se permettre de gérer la boutique tout seul. Alice lui promit que tout irait mieux demain, qu'une affaire personnelle l'avait particulièrement tracassé aujourd'hui, mais que ça passerait vite. Tout allait s'arranger, et Yves la crut.

Elle rentra chez elle en traînant les pieds, retardant le plus possible le moment fatal où elle ouvrirait cette fichue enveloppe. Elle la hantait depuis des jours, jusque dans ses rêves, où elle imaginait ses parents. Alice se faisait un espoir d'apprendre qu'en réalité, sa mère était une femme plus qu'honorable qui n'avait pas eu d'autre choix que celui-ci à sa naissance, qu'en allant à sa rencontre elles pourraient rattraper le temps perdu. Cette idée était née en elle comme une mauvaise herbe, impossible à arracher. Il fallait qu'elle sache, elle ne pouvait plus reculer. Jonas devait certainement l'attendre dans sa chambre, à l'hôpital, pour qu'ils en finissent.

Elle laissa la porte d'entrée claquer paresseusement, retira ses bottes fourrées sans les mains. Au bord des larmes, Alice était vidée de toute énergie. La jeune femme avait envie de faire ce qu'elle s'était toujours refusé de faire : repousser l'ouverture de l'enveloppe à demain. Et demain, elle le repousserait encore. Et encore. Pour finalement ne jamais savoir. Elle laissa tomber sa veste sur le porte-manteau, rata la branche. Le vêtement s'affala dans un froissement sourd, et elle n'y prêta aucune attention. Comme robotisée, Alice se traîna jusqu'au canapé, à présent replié. Une larme s'échappa et roula sur sa joue. Plus que jamais, elle désirait la présence de Jonas, ici, avec elle.

À peine assise, son téléphone sonna. Elle décrocha sans regarder l'écran.

- Salut Jonas, murmura-t-elle, la voix tremblante.

- Hello you, répondit-il d'une voix plus enjouée, tentant vainement de lui insuffler un peu de courage.

- Ça va toi ?

- Oui plutôt bien. J'ai vu le Docteur ce matin, il a dit que je pourrais sortir demain. À condition de continuer à suivre mon traitement et à venir aux rendez-vous de contrôle en CMP.

- C'est fantastique !

Même si sa voix était faible, Alice était réellement heureuse pour lui. Sa sortie signifiait beaucoup : il pourrait reprendre une vie normale, se donner les moyens de réaliser ses projets, passer plus de temps avec elle, se voir plus souvent...

- Mais revenons à toi, dit-il plus sérieusement. Comment tu te sens ?

- Je sais pas... j'ai peur d'ouvrir l'enveloppe. J'ai pas très envie de le faire...

- Il faut. Plus tu reculeras, plus ça sera difficile. Dis-toi que c'est comme arracher un pansement.

Alice soupira. Se leva péniblement pour saisir l'enveloppe qui traînait depuis des jours sur son bar. Elle attrapa le coupe-papier qui était posé dans un pot à crayons près du meuble à télé et repartit s'asseoir. Tremblante, la jeune femme passa la lame dans le pli et déchira le papier. Elle en sortit une petite liasse de documents, dont un compte-rendu médical de sa naissance, la déclaration de sa naissance faite à l'hôpital, un extrais de casier judiciaire au nom d'une certaine Vanessa Grandidier, un autre plus fourni au nom de Kevin Ramirez. Les larmes lui montèrent aux yeux : c'était un véritable cauchemar.

Le livre dans tes yeux [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant