Chapitre 8 : Le (re)commencement

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Il se passa presque deux semaines pendant lesquelles Jonas évita la nourriture le plus possible et resta collé à son téléphone. Lorsqu'il n'était pas en conversation vocale avec Alice, il envoyait message sur message, lui racontant ses journées à ne rien faire, épuisé de s'empêcher de broyer du noir. La brune essayait de le réconforter comme elle le pouvait, mais prise par son travail, elle avait à peine le temps de consulter ses messages entre deux passages en caisse. Le jeune homme meublait donc ses journées en lisant les livres qu'on lui proposait, en mangeant si peu à chaque repas que Louis lui demandait systématiquement s'il pouvait lui prendre son plateau (aussitôt réprimandé par les infirmiers).

Et puis arriva ce fameux jour. Il faisait gris dehors, et Jonas, malgré son pull et le chauffage, avait froid. Il était occupé à regarder les nuages chargés de pluie passer devant sa fenêtre d'un œil morne, quand son téléphone sonna. Certain de tomber sur la voix d'Alice, il ne jeta même pas un regard à l'écran et décrocha dans la seconde, à demi-souriant.

- Hello ! Fit-il d'un air faussement enjoué.

Il n'entendit rien d'abord, juste une respiration quelque peu erratique, puis un sanglot.

- Alice ? Répéta Jonas, inquiet.

- Tu es un fils ingrat...

Le garçon eut un hoquet de surprise en reconnaissant la voix de sa mère. Irène était en pleurs à l'autre bout du fil et lui avait téléphoné pour nulle autre raison que le faire passer pour le coupable de son malheur.

- Si j'avais su que tu ne me rendrais pas fière, j'aurais avorté.

- Irène, c'est pas ma faute, se justifia-t-il d'une voix mal assurée.

- Si, ça l'est. J'avais tout pour moi. J'étais belle, mince, avec un beau mari qui ramenait autant d'argent que moi, une belle maison, et puis il t'a voulu, et j'ai dit oui en pensant que je pourrais aussi avoir un beau fils qui réussirait autant que moi. Mais regarde-toi avec ta coupe de hippie et ta façon d'attirer l'attention sur toi.

- Je n'attire pas l'attention sur moi...

- Si ! S'écria Irène, soudainement devenue furie. Tu ne veux que ça, que les gens ne regardent que toi, avec tes os saillants. T'as maigri juste pour ça, avoue-le !

Sa mère se trompait, il le savait. Ou peut-être pas. Jonas était de toute façon trop choqué pour réfléchir à la question maintenant. Sa priorité restait de ne pas sangloter bruyamment, de ne pas montrer sa faiblesse à sa génitrice, qui venait de lui avouer à quel point elle le détestait.

- Si tu savais comme je te déteste, Jonas... tu es le seul échec de ma vie...

Le jeune homme ne répondit rien. Il pleura en silence, assimilant les paroles de la grande femme blonde.

- Ton père a demandé le divorce... à partir de maintenant, si tu as quelque chose à demander, adresse-toi à lui.

Irène raccrocha sans un mot de plus. Jonas resta quelques secondes de plus devant son écran, le fixant d'un œil vide en tentant de comprendre ce qui venait de se passer.

La nouvelle leur parvint quelques jours plus tard. Alice était au travail, elle avait téléphoné au service hospitalier qui s'occupait de son ami. Paul était avachi dans son fauteuil, la mine renfrognée, un verre de brandy à la main pour se donner une contenance. Il n'y avait pas touché. Perdu dans ses pensées, il avait même oublié qu'il était toujours plein. Il réfléchissait inlassablement à ce qui avait pu déconner chez Irène pour que tout parte en vrille au point que leur fils unique ait dû être placé en chambre d'isolement et réalimenté par sonde naso-gastrique. Le père de famille finit par porter l'alcool à ses lèvres, avala le tout d'une traite, et tenta de se consoler en se disant que même si Jonas était enfermé seul dans une chambre, il serait bien plus entouré et bien plus protégé qu'il ne l'avait jamais été.

Le livre dans tes yeux [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant