Va-t'en. Ah, c'était donc ça. Jonas cligna des yeux plusieurs fois, peu sûr d'avoir bien entendu. Et s'il avait pu cligner des oreilles aussi, il l'aurait sûrement fait. Alice était donc là, regardant droit devant elle, attendant qu'il s'en aille comme elle le lui avait demandé. Il ne comprenait plus rien à ce qui se passait. Ils étaient allés chez les parents de la jeune femme, elle en était ressortie bouleversée. Il pouvait le concevoir, lui-même avait des relations tendues avec sa mère. Mais il avait accepté qu'elle l'épaule dans cette épreuve, pourquoi le rejetait-elle maintenant que c'était à son tour de l'aider ?
- Jonas, répéta Alice en se retournant pour le toiser. Va-t'en.
Le jeune homme ne mit pas longtemps avant de sentir le sang bouillonner dans ses veines. Pourquoi ne le laissait-elle pas être là ? C'était si compliqué de s'ouvrir un peu comme il avait fait l'effort de le faire ? Oui, en fait. Pour lui, ça l'avait été. Il avait tout gardé pour lui depuis dix-huit ans. Fatalement, au moment de lui dire tout ce qui n'allait pas chez lui, la thérapie, les antidépresseurs, son odieuse mère, ça lui avait paru insurmontable. Mais, il avait réussi et à présent, il souhaitait qu'elle fasse de même. Qu'elle désamorce la bombe avant qu'elle n'éclate et que ça lui plombe le moral. Jonas ne devait pas s'énerver, alors il remonta le col de sa veste, qu'il n'avait pas enlevé, et fit demi-tour. Il claqua la porte derrière lui sans même un "au revoir" à l'attention de la jeune femme.
Alice resta une minute dans l'entrée à se demander si Jonas avait bel et bien quitté son appartement. Une boule amère se forma dans sa gorge. Elle avait été si choquée de rencontrer ses parents, d'avoir été autant fascinée par son père, pourtant violent, seulement parce que sa ressemblance avec lui était frappante. À aucun moment elle n'avait vraiment souhaité qu'il parte. Elle voulait le brun à ses côtés. Alice avait juste été incapable de lui demander. Maintenant, il était parti, et elle était seule dans son appartement froid.
La jeune femme ne comprit pas tout de suite ce qui était en train de lui arriver, mais elle se sentit tout à coup remplie de quelque chose d'horrible. Un néant lui creusait la poitrine. Elle se mit à trembler de tout son corps, son manteau encore sur le dos, ses chaussures encore aux pieds. La poitrine d'Alice se serra et elle se mit à suffoquer, à respirer comme si elle avait tenu dix minutes en apnée, et quand les larmes dévalèrent ses joues, elle se jeta sur son lit, la tête la première sur son oreiller. Elle hurla à pleins poumons, espérant que la douleur s'évapore. Les pleurs s'intensifièrent, elle eut de plus en plus de mal à respirer.
Au loin, au bout de la rue, Jonas enfonça les mains dans ses poches, se pinçant les lèvres. Il aurait juré entendre une voix de femme implorer le pardon, supplier un retour inespéré, et sangloter. Il marcha tête baissée jusqu'au nouveau campus de Nancy, à côté de chez lui, et emprunta la rue pour arriver chez son père. Il sonna juste pour prévenir, et enfonça sa clé dans la serrure pour entrer. Paul, bien moins fatigué qu'à Noël, l'accueillit avec une accolade paternelle. Ces étreintes avaient manqué au jeune homme. Enfin il obtenait ce qu'il avait toujours désiré : être considéré comme un fils, et voir de la fierté dans les yeux de ses parents. Il ne se fit pas d'illusion cependant : sa mère mettrait bien plus de temps à changer son attitude. Mais voir son père aussi heureux de le voir rentrer chez lui procura un plaisir sans nom, et adoucit un peu la colère de Jonas.
- Que me vaut ta visite ? Demanda Paul en souriant.
- J'aimerais rester dormir ici quelques jours.
- Tu es ici chez toi mon grand, et aussi longtemps que j'habiterai encore cette maison.
- Justement, je pense rester ici le temps de me trouver un travail.
Jonas se triturait les doigts, peu sûr de l'accueil de cette annonce. Pourtant, le fait qu'il veuille se reprendre en main et essayer de faire ce qui lui plaisait était une très bonne chose, du moins dans sa tête. Que se passerait-il s'il ne se plaisait pas dans son travail, s'il faisait une rechute ? Mais il ne pouvait pas savoir s'il n'essayait pas. Il ne pourrait pas dépendre de son père ou d'Alice tout le reste de sa vie. Plus il y pensait, plus ça lui torturait l'esprit. Son père lui servit un thé, comme d'habitude, et Jonas livra enfin ses projets d'avenir. Paul écouta attentivement, haussant les sourcils à mesure que le récit avançait. Il avait l'impression que son fils avait fait un véritable bond dans sa façon d'être, passé d'un garçon éteint, avec pour seul projet de mourir, à un garçon dans la fleur de l'âge, qui trouvait un sens à sa vie sans se soucier de ce que pourrait en penser les autres. Finalement, son divorce avait du bon.
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Le livre dans tes yeux [TERMINEE]
RomanceJonas est un jeune homme de dix-huit ans maigre, très maigre, trop maigre. Alice est une jeune femme trop heureuse pour l'être vraiment. Quand une tasse de latte les réunit par hasard les secrets éclatent, les blessures deviennent profondes, et l'...