Chapitre 9 : Trois kilos

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Le lendemain, Jonas demanda à rester isolé. Rester seul avec ses pensées et s'y confronter lui avait fait du bien, et il voulait que ça continue. Pas pour très longtemps, mais se heurter à tout ce qui pouvait représenter une menace pour lui-même lui avait toujours fait terriblement peur, et il n'avait jamais voulu savoir ce que c'était, comment combattre tout ça. Les infirmiers et même le Docteur Martin s'étaient succédés dans la chambre d'isolement pour lui demander comment il se sentait, pour le rassurer quand il mangeait. Les toilettes étaient de toute façon fermées à clé, et il devait faire appel à un soignant pour pouvoir y mettre les pieds.

Ainsi Jonas resta allongé sur le matelas trop dur un jour de plus. Sa journée fut rythmée par Fatiha qui vint le voir toutes les deux heures pendant la matinée, et par Clara qui passa lui rendre visite et discuter un peu avec lui l'après-midi. Elle était plus gentille que d'habitude Clara, et il se demanda si quelque chose n'allait pas chez elle. Elle lui rétorqua que tout allait bien, et lui dit de se focaliser sur comment lui allait. Le jeune homme en fut froissé, et se félicita néanmoins de ne pas avoir pris la remarque personnellement. Il préférait se vexer que se flageller pour des choses pareilles. Après tout, tout le monde ici était un être humain, et tout le monde ne pouvait pas aller bien tout le temps.

Quand il sortit enfin de la chambre d'isolement, on était au milieu de la semaine, et il se sentait déjà mieux. Il avait décidé de recommencer à manger normalement, au moins pour arrêter d'inquiéter son entourage. Et même s'il avait du mal à voir ses côtes disparaître tout doucement, un des soignants était toujours là pour le rassurer et le pousser à faire attention à sa santé.

Aujourd'hui, on était jeudi. Un jeudi encore plus froid que les autres, à en voir la pelouse gelée dehors. Même les patients fumeurs avaient décidé de ne pas mettre le nez sur la terrasse, et avaient pour la plupart osé demander un patch de nicotine pour éviter le désagrément de l'extérieur. Mais ce jeudi glacial était toujours le jour le plus angoissant pour Jonas. C'était le jour de la pesée, et même si Fatiha et le Docteur Martin étaient très enthousiastes à l'idée de le voir remonter sa courbe de poids, lui restait quelque peu sceptique. Alors il était là, en caleçon et en t-shirt, à lancer des regards en coin à Fatiha, qui attendait patiemment qu'il monte sur la balance. Il fallait qu'il prenne son temps, et l'infirmière insistait bien là-dessus, afin que la pesée hebdomadaire ne soit plus un événement traumatique comme pour la plupart des personnes anorexiques.

Jonas posa un pied sur la balance en retenant son souffle. Même s'il voulait aller mieux, il n'était pas certain de vouloir augmenter le chiffre sur le cadran. Il mit finalement le deuxième pied et ferma les yeux. Fatiha s'approcha de lui pour voir le résultat.

- Cinquante-trois kilos, annonça l'infirmière. Donc plus trois kilos, c'est parfait Jonas !

- Ah ?

Il avait dit qu'il allait faire des efforts, essayer d'améliorer sa santé, mais pas aussi vite. Après avoir entendu qu'il avait pris du poids, il n'était plus très sûr de vouloir grossir. Et trois kilos c'était trop. Mais c'était trop tard maintenant, il allait être obligé de les garder. Le Docteur Martin sourit, l'encouragea vivement en lui disant que reprendre lentement mais sûrement était la meilleure chose à faire. Le jeune homme n'osa pas trop aller dans son sens et se contenta de hocher la tête. Reprendre du poids ne voulait pas forcément dire devenir gros. Il avait de la marge de toute façon, avant que ça n'arrive.

Après avoir enfilé un jean et des chaussures, Jonas se dirigea vers le réfectoire, où un yaourt et deux tartines beurrées l'attendaient sur un plateau. Il prit place devant, regardant Louis lorgner le repas des autres autour de lui. Il trouva que tout ça était ironique. Lui, on le forçait à manger pour éviter qu'il meure, alors que Louis, on le forçait à ne pas manger. Il croqua dans une des languettes de pain tout en ouvrant l'opercule de son yaourt, quand il se rendit compte qu'il manquait quelque chose. Il n'y avait pas de sucre à mettre, et tout le service savait que Jonas était incapable de manger un laitage nature. Il reposa la tartine sur le plateau, puis se leva pour aller voir l'infirmier. Il demanda un petit sachet de sucre ou quelque chose qui pourrait améliorer le goût de son repas, quand soudain, un fracas retentit dans son dos. L'infirmier le poussa de la main pour qu'il s'écarte et il assista, médusé, à une bataille entre tout le corps paramédical qui tentait d'arrêter la frénésie de Louis, cent-trois kilos pour un mètre soixante-treize, qui se débattait avec tout le monde pour engloutir le plateau de Jonas, laissé à l'abandon.

Le livre dans tes yeux [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant