Chapitre V

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Je décrochai tout en retenant ma respiration.

- Bonjour Madame Riley C'est au sujet de votre frère, Scott Riley, tous les muscles de mon corps se contractèrent, Rien de grave rassurez-vous...
ELLE N'AURAIT PAS PU COMMENCER PAR ÇA ?! L'incendiai-je mentalement.
... Seulement voilà.. Il n'arrive pas à dormir et rien à faire pour l'apaiser. Je sais que votre père n'est pas disponible parce qu'il travaille, et il ne réclame que vous. Pensez-vous qu'il vous serez possible de..

- Dites lui que j'arrive. Je serai là dans une dizaine de minutes.

- Enfin, pas que vous.. Je ne sais pas quelle idée lui est passée par là tête, mais il voudrait aussi que vous emmeniez votre, hum, guitare, finit-elle enfin.

- D'accord, dites lui qu'on arrive, rectifiai-je alors en souriant, amusée.

À l'inverse de mon interlocutrice, je n'étais pas plus étonnée que ça de la requête que faisait Scott. Il avait toujours aimé m'écouter jouer. Quand il était bébé et qu'il pleurait sans raison apparente, je lui chantais des chansons calmes, et il s'endormait presque instantanément.

C'est donc avec ma guitare sur le dos que je franchis la porte de l'hôpital en pleine nuit. Curieuse activité, devaient probablement se dire les quelques somnambules qui m'observaient sans savoir que j'étais le marchand et mon instrument le sable attitrés de mon frère.

- Alors comme ça on fait des caprices pour ne pas dormir ? Lui lançai-je, moqueuse, en entrant dans sa chambre.

Mais en voyant l'effort qu'il faisait pour me sourire et en entendant sa respiration encore plus bruyante que d'habitude, je compris que ça n'en était vraiment pas un.

Alors, sans un mot, je sortis ma guitare et lui chantai la seule chanson qui me vint en tête en ce moment, dont le titre me vient en lui chuchotant "Sois courageux" :
Be brave, de Shelly Fralley, plus doucement que l'originale.
À la fin, c'est parce que je le regardais que je pu lire sur ses lèvres un mot inaudible autrement: "Encore", comme lorsqu'il était plus petit.
Je lui souris et continuai alors selon sa volonté avec Big jet plane, de Angus et Julia Stone, la première chanson qu'il m'avait demandé de lui apprendre, alors qu'il parlait à peine. Puis je poursuivis avec Little Love de Aaron, les yeux remplis de larmes par ces mots qui semblaient lui être destinés, que je lui destinais en tous cas.

Quand je cessai de jouer, j'entendis une respiration beaucoup moins difficile que tout à l'heure. Et quand je levai les yeux vers lui, je remarquai avec bonheur que les siens étaient fermés. Dors bien mon ange, lui susurrai-je en l'embrassant sur la joue.
Je regardai l'horloge du couloir, il était 2h03. J'étais beaucoup trop fatiguée pour conduire, même si la distance qui me séparait actuellement de mon studio n'était pas énorme. Avant je n'aurais pas hésité une seconde.. Maintenant, c'était devenu inenvisageable.

Je pris alors l'étrange décision pour cette heure tardive, ou matinale je ne savais plus, de descendre au rez-de-chaussée prendre un café dans une sorte de snack appartenant à l'hôpital, ouverte 24h/24, pour les visiteurs, les membres du personnel, certains résidents eux même.
(Scott n'avait pas cette chance. A l'inverse de certains autres enfants hospitalisés, il n'avait pas le droit de se lever, donc pas le droit de sortir de son lit.)

Je me retrouvai donc avec ma guitare comme seule compagnie, devant mon café, à une table haute, dans une ambiance peu chaleureuse. À la première gorgée, je grimaçai à cause du choc thermique de cette boisson (toujours trop chaude) dans ma gorge sèche, et de son goût amer et infecte.

- Comment peut-on boire ça ? Questionnai-je mentalement..
Pas si mentalement que ça en fait, me dis-je en fronçant les sourcils.. Cette voix était haute et ne m'appartenait pas..
Je me retournai et sursautai malgré moi en remarquant seulement à l'instant la présence d'un garçon derrière moi. Sous le coup de ce bon de mon tabouret, mon gobelet presque plein se renversa sur moi.

- Et merde ! Grognai-je en constatant les dégâts causés à mon tee-shirt, et en me rendant encore mieux compte par la même occasion de la chaleur surélevée de cette boisson.

- Je suis vraiment désolé, s'excusa-t-il, ça va ?

Mais il est toujours là celui-là ? Il peut pas aller faire chier quelqu'un d'autre ? M'exaspérai-je intérieurement en essayant tant bien que mal de sécher le café sur mes habits avec une serviette en papier d'une main, et d'éviter le plus de contact possible entre mon tee-shirt devenu brûlant et ma poitrine de l'autre, ce qui n'était pas facile.

Pour la première fois, je levai mon regard haineux vers lui pour lui répondre sèchement, et le dévisageai. Il devait avoir à peu près mon âge, 18 ans, peut-être un peu plus. Ses cheveux bruns semblaient ne pas avoir été coiffés depuis un moment mais encadraient sont visage anguleux à la perfection, ses grands yeux bleus me regardaient avec insistance et son sourire désolé dévoilait des dents parfaites. Il me tendit son sweet noir et je me rendis compte qu'il venait de l'enlever.

- Tiens, mets ça, tu vas t'ébouillanter si tu gardes ton tee-shirt. Il y a des toilettes au bout du couloir à droite.

Je détestais être vulnérable, et encore plus être redevable, mais là je n'avais pas vraiment d'autre choix.. Et puis c'était de sa faute après tout. Donc finalement, on était quittes..

- Merci, dis-je du bout des lèvres en prenant son sweet et en me dirigeant vers les toilettes pour me changer.

En l'enfilant par dessus mon soutien-gorge comme seul barrière entre le vêtement de cet inconnu et moi, son parfum se répandit autour de moi et m'entraîna dans une sorte d'ivresse sensorielle.
Après avoir repris mes esprits, j'essorai mon tee-shirt dans le lavabo et remontai la fermeture éclair jusqu'en haut. J'avais la désagréable sensation d'être nue.

En revenant dans la salle où j'avais pris mon café, à l'époque où celui-ci tenait encore sagement dans son gobelet, je constatai qu'il n'avait pas bougé et qu'il semblait m'attendre. Normal, réfléchis-je ensuite, j'avais son sweet.
Je le regardais de loin, avec ce sentiment de supériorité que l'on éprouve lorsque l'on peut voir sans être vu. C'est en observant le visage parfait de celui qui n'était encore pour moi qu'un inconnu se retourner vers moi pour me sourire, l'air malicieux, que je compris que nous venions de signer le début d'une histoire, que j'espérais en silence meilleure que j'avais vécue jusque là.

Ces Poussières FilantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant