Chapitre II

36 9 2
                                    


Je ne fis que quelques mètres seulement après avoir passé la grande porte de l'entrée du bâtiment sombre qui imposait sa carrure de béton décrépit au-dessus de moi, mais voilà que cette odeur suffocante envahissait déjà mes narines. Une odeur de mort, je n'avais pas d'autres mots pour décrire ces relents de maladies, de médicaments et de pourrissure qui se superposaient les uns aux autres.
Je n'avais plus besoin de faire attention aux pancartes qui aidaient -du moins était-ce le rôle qui leur avait été destiné- les visiteurs à s'orienter dans ce labyrinthe de couloirs, de salles d'attente et d'étages. Je connaissais maintenant ce lieu par cœur, même s'il ne m'était pas pour autant devenu moins hostile, et je me dirigeai désormais comme un automate jusqu'au deuxième étage du bloc C: pédiatrie.

Un étage où tout était mis en oeuvre pour vous faire croire que la vie était belle. Tout n'était ici qu'hypocrisie, du sourire des employés jusqu'aux tapisseries roses (comme leurs blouses d'ailleurs). Mais que croyaient-ils ? Que placarder du rose partout ferait voir aux malades la vie de cette couleur ? Être enfant, ce n'était pas être stupide, beaucoup d'adultes avaient la fâcheuse tendance à l'oublier. Et ce n'était certainement pas la couleur des murs entre lesquels ils étaient enfermés qui leur ferait oublier leur souffrance.

J'étais arrivée à la porte de la chambre 125.
" 25, comme le jour de ton anniversaire !" M'avait dit Scott une fois qu'il avait été en mesure de s'en rendre compte. Un sourire se dessina sur mes lèvres en y repensant, toujours devant la porte de sa chambre, la main en suspension au dessus de la poignée.

- Je peux vous aider madame ?

Je me retournai brusquement, coupée dans mes rêveries par la voix de cette femme en blouse, rose évidemment.

- Non merci, grommelai-je, j'allais entrer.

Elle repartit, mais je sentais encore peser sur moi son regard dubitatif.
Je poussai la poignée et la porte d'un même geste, sans frapper pour éviter à Scott de se fatiguer à couvrir le bruit du couloir en y répondant, puis la refermai avec douceur derrière moi, pour ne pas le réveiller si, par chance, il dormait.

- Halley !! s'exclama-t-il, un grand sourire s'étalant sur son petit visage d'ange.

- Chuut, ne parle trop fort trésor, tu sais bien qu..

- Qu'il ne faut pas que je fasse de mouvements brusques, comme crier, me relever trop vite sur mon lit ou me lever tout court. Je sais. Et ne m'appelle pas trésor, je suis plus un bébé ! Je vais avoir 7 ans, et 7 ans c'est l'âge de raison.

- Mais tu crois déjà avoir tout le temps raison Scotty.. qu'est ce que ça va changer pour toi ? Le taquinai-je en m'asseyant au bord de son lit, tout en me retenant de toutes mes forces de penser à son précédent anniversaire, quelques semaines plus tôt.

Il s'était redressé, assis contre un gros oreiller (qui, à ma grande surprise, n'était pas rose). Je le regardais avec tendresse me rétorquer, avec son assurance qu'il n'avait pas perdue:

- Oui mais là ce sera différent. Je ne serai plus le seul à le croire, vu que je ne pourrai pas avoir tord.

- Ha tu crois ça ? Dis-je en rigolant.

Mais avant qu'il puisse m'exposer de nouveaux arguments infaillibles, qui auraient, à coup sûr, achevé de me convaincre de la vérité de son affirmation, une aide soignante entra, avec un plateau dans les mains.

- Il est 18h Monsieur Scott ! L'heure de manger ! Lança t-elle de la même manière que les personnes âgées s'adressent aux nourrissons de quelques mois.

Je n'ai pas eu besoin de consulter l'expression du visage de Scott pour comprendre que la voix mielleuse et infantilisante de cette dame l'excédait autant que moi. Alors, en utilisant le même sourire-du-monde-des-bisounours qu'elle, je lui pris le plateau des mains, et lui déclamai avec la même intonation:

- Merci beaucoup madame l'aide soignante ! Je me débrouillerai pour que Monsieur Scott mange bien toute cette appétissante nourriture !

Incrédule et vexée par cette imitation qu'elle jugeait probablement grotesque, elle fit demi tour et sortit. Une fois qu'elle eut fermé la porte, je me retournai vers Scott et nous éclatâmes de rire. Un rire spontané, comme nous n'en avions pas partagé depuis un moment.

Mais soudain, je vis avec horreur son visage se fermer, contracté par la douleur, puis je l'entendis suffoquer, ne parvenant plus à respirer. Je me précipitai alors sur le bouton d'appel d'urgence, à coté du lit. Après quelques secondes qui me parurent une éternité, une infirmière arriva en courant dans la chambre.
Avant que je n'ai eut le temps de lui expliquer la situation, elle se précipita sur un masque à oxygène et lui plaqua sur le visage.

- Voilà mon grand, c'est bien, respire. L'encouragea-t-elle calmement.
Puis, s'adressant à moi: Vous restez avec lui ?

- Bien-sûr, m'empressai-je de répondre, en prenant la main de Scott.

Et pendant qu'il fermait les yeux et commençait à s'apaiser, je m'autorisai à le contempler. Un visage d'ange, vraiment. Tout rond, avec des grosses joues et de beaux cheveux blonds qui l'encadraient comme une oeuvre d'art à laquelle il ne faut pas toucher, au risque de l'abîmer.
       Habituellement, il aimait porter de larges sweets à capuche trop grands pour lui, pour se donner l'air d'un "grand de collège". Mais en ce moment, il semblait si frêle, si petit dans sa robe de chambre d'hôpital, avec ce masque à oxygène qui barrait le passage à son sourire. Son adorable sourire auquel il manquait une dent, qu'il avait fièrement fait tomber un mois plus tôt.

Il ne pouvait même plus rire, me dis-je intérieurement. Il n'avait même plus le droit de rire. C'était de ma faute, c'était moi qui l'avais fait rire, tout était de ma faute.
Et tout en serrant ses petits doigts dans mes mains, je lui promis que je ne ferais plus jamais cette erreur, que je serais toujours là pour lui, et je la maudis en silence.

Regarde ce que tu infliges à ton fils.

Ces Poussières FilantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant