Nous n'avions plus abordé le sujet de maman avec Scott. Il avait choisi de ne pas me faire part des réflexions -que je savais nombreuses- qui se bousculaient dans son esprit. Je respectais ce choix mais ne pouvais m'empêcher de multiplier mes suppositions quand au contenu de ses pensées.Peut-être qu'il commençait à cesser enfin d'enlever à sa mère toute part de responsabilité dans ce qu'il subissait depuis des semaines et qu'il lui en voulait enfin.
Peut-être qu'il lui conférait désormais le rôle de la victime principale. Victime de son malheur et non pas responsable d'être devenue alcoolique et droguée, et par conséquent victime d'être séquestrée privée de voir ses enfants.
Peut-être -et je redoutais plus que tout ce cas de figure- qu'il m'en voulais à moi. De ne pas l'avoir protégé d'elle et de cet accident qui ne se serait pas produit autrement.
Je ruminais mes pensées, ou plutôt les ébauches de celles de Scott, assise sur une chaise dans la chambre qu'il occupait depuis qu'il était à l'hôpital. Comme tous les autres dimanches depuis son accident, je lui tenais compagnie pendant ce que les infirmières appellent son repas.
Tout en mâchant péniblement un morceau de ce qui s'apparentait le plus à de la viande, il déclara, fronçant les sourcils (signe que je savais annonciateur de l'aboutissement d'une grande réflexion intérieure préalablement établie):- Moi ch'rois dans la vie qu y'a pas d'accidents. Tout ch'qui arrive était déjà prévu. Par qui, ça ch'ais pas mais j'pense que rien arrive par hazard. Par exemple si maman a fait un accident, ch'est pour qu'elle se rende compte du mal que fait l'alcool et la drogue et pour qu'elle arrête.
Scott m'avait rendue perplexe. Il tenait un discours étonnement mâture pour un enfant de 6 ans... Comme je l'avais prédit, il excusait en partie maman. Je poursuivais alors dans son raisonnement:
- Mais alors, pourquoi tu es à l'hôpital toi hein ? Qu'est ce que tu as fait pour mériter cette sanction ?
Il avait enfin fini son repas et je pu me délecter d'une réplique non perturbée par des mastications intempestives,
- Moi j'ai rien fait. Mais dans un sens, c'est une sorte de cadeau. Comme ça, quand je reviendrai à la maison, je serai encore plus heureux qu'avant de pouvoir faire tout c'que je faisais avant et que j'ai pas pu faire ici.
Un cadeau !? Je n'en revenais pas. Voilà, on y revenais encore. La non culpabilisation de maman, la mère parfaite qui lui permettrait de profiter encore plus de la vie normale d'un petit garçon de son âge. En observateur aguerri, voyant que je ruminais d'obscures pensées, Scott changea de sujet:
- Halley, t'as vu le super avion télécommande que j'ai ?! C'est un copain qui me l'a offert cet après-midi quand il est passé me voir avec sa mère, pendant que tu travaillais chez toi. Il m'a dit que c'était un cadeau d'anniversaire en retard. Tu veux que j'te montre ??
- Oh la chance ! Bien sûr que j'veux que tu me montres !
Alors il exauça mon vœu, et s'employa ravi à faire tournoyer son engin au dessus de ma tête et dans toute la chambre, dont les dimensions restreintes excluaient toute possibilité d'escapade.
Après avoir admirée ébahie le talent de pilotage à distance de mon frère, mon attention se détacha de l'avion pour se poser sur son guide. Un immense sourire emplit de fierté s'étalait sur son visage radieux. Mais un grincement de porte, bien que discret, vint interrompre ma contemplation.Suzy, l'infirmière que Scott et moi préférions, avait glissé sa frêle silhouette et son charmant sourire embêté dans l'entre bâillement, et s'adressa à moi avec douceur:
- Mademoiselle, je suis désolée mais je dois vous demander de partir. L'heure des visites est finie et les familles ne sont plus autorisées à rester dans les chambres.
- Oh oui, excusez moi, je n'avais pas vu l'heure. Je m'en vais. Et je lui adressais mon plus grand sourire. Et je me justifiai: C'est que Scott me faisait une démonstration de son nouveau jeu qu'un de ses amis lui a offert.
Elle s'autorisa alors à entrer dans la pièce et s'exclama, à l'intention de l'intéressé et sincèrement enthousiasmée:
- Waouw ! Trop bien ! Tu me fait voir ?
Je me penchai sur Scott et l'embrassai, rassurée de le savoir entre de bonnes mains avant de s'endormir, le moment de la journée qu'il redoutait le plus.
- Bonne nuit mon Scotty, fait de beaux rêves. Au revoir madame, prenez bien soin de lui.
- Bisous Halley !! À vendredi !
- À bientôt mademoiselle. Vous inquiétez pas pour ce p'tit bonhomme, il est entre de bonnes mains !
C'est ce que je constatai en effet en fermant précautionneusement la porte derrière moi en sortant, mon sac sur l'épaule... Avant qu'une voix surgissant derrière moi ne me fasse sursauter:
- Hey !
Cette voix m'était familière. Je me retournai.
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Ces Poussières Filantes
RomanceHalley vient d'avoir 18 ans. L'âge des fêtes, des aventures, de l'impossible et de l'insouciance ? Pour elle, pas vraiment. Son petit frère est à l'hôpital et, quelles qu'en soient les raisons, elle porte sa part de culpabilité et de remords. Mais...