Chapitre XI

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       Je n'aurais pas dû.

       Je le savais pertinemment et me le répétais en boucle depuis que je lui avais envoyé un message, le soir même. Je n'avais pas su résister. Encore une fois. Encore une fois j'allais me faire avoir. Cette histoire ne nous mènerait nulle part et je le savais. Je ne l'avais pas appelé, certes, non par manque d'envie mais par peur de perdre mes moyens en entendant sa voix rauque et suave.

       Comme toujours, je me réfugiais derrière la barrière rassurante des mots, qu'on ne peut pourtant pas effacer. Le papier était devenu au fil des années l'un de mes plus grands confidents, un sage qui écoute en silence. Sur une feuille, j'écrivais ma vie et mes émotions que je cachais au grand public. Dans des lettres que je n'enverrais jamais, des poèmes que personne ne lirait, des chansons que personne n'écouterait. Sur du papier, j'étais à l'aise, confiante, choisissant mes lettres avec soin. Mais par texto, sur un clavier, c'était différent. Tout paraissait toujours trop ou pas assez.

      Je relus pour la troisième fois ce stupide message qu'il avait désormais reçu depuis 5mn :

« Salut, c'est Halley (comme tu ne te souviens probablementpas de mon nom, la-fille-sur-qui-t'as-renversé-son-café) Comme je travaille beaucoup en ce moment, tu peux passer chez moi à partir de19h du lundi au jeudi pour récupérer ta veste. A bientôt :) »

       Je maudissais mon manque de sociabilité et de savoir faire en société. J'aurais voulu remplacer chaque mot. Ou ne rien avoir écrit du tout. J'allais passer pour une fille facile maintenant. Chez moi en plus... Mais quelle idée ? Il rendait visite à sa grand-mère à l'hôpital régulièrement, alors pourquoi ne pas lui avoir proposé un RDV là-bas ? Qu'est ce que je pouvais être stupide parfois !

       Tant pis, j'en avais rien à faire de lui dans tous les cas. Je m'étais toujours très bien passée de lui dans ma vie, pourquoi il me deviendrait indispensable maintenant ? C'était puérile. Je me contenterais de lui rendre son fichu sweet et il irait trouver compagnie auprès de quelqu'un(e) de plus chaleureux que moi. Ça ne devait pas être compliqué à trouver. Une vibration dans ma poche me fit sursauter. Enfin, il répondait !

"Heeyyy ! Je commençais à désespérer.. Bien sûr que je me souviens de ton nom ! Ça marche pour moi :) Demain soir, après 20h ça t'irait ? Je peux pas plus tôt."

Je répondis 10mn plus tard, et le plus brièvement possible pour compenser mon trop plein de mots de tout à l'heure:

"C'est parfait. A demain alors."

Le lendemain soir en question, j'étais dans tous mes états, à paniquer pendant une heure pour trouver la tenue idéale. Pas trop décontractée mais pas trop apprêtée non plus...Comme une gamine de 12 ans lors de son premier rancard. C'en était affligeant. Il fallait que je sois plus pragmatique.
Grand 1, je n'avais plus 12 ans, mon taux d'hormones était sensé s'être stabilisé. Grand 2, ce n'était pas mon premier rancard et loin de là. Grand 3, ce n'était PAS un rancard du tout.

La sonnette d'entrée retentit. Je cherchai comme une cambrioleuse une sortie de secours. Mais il n'y avait pas de retour en arrière possible. À défaut d'une sortie cachée dans mon armoire, je trouvai un miroir dans le couloir. Je passai une main dans mes cheveux, respirai profondément et allai ouvrir.

Qu'est ce qu'il était beau. Les générations suivantes auront beau écrire n'importe quoi sur la biographie de Matthew, elles ne pourront pas passer à côté de ça. Une beauté universelle et intemporelle.
Peut-être avait il lu dans mes pensées car il était habillé selon le même dress code que moi: jean et chemise.

Une seconde fois, il se pencha sur moi pour me faire la bise. Je cru même sentir son sourire sur ma joue.

- Bonsoir Mademoiselle, me lança t-il, empruntant ironiquement les principes courtois.

Je continuai dans son jeu:

- Bonsoir Monsieur. Que me vaut le plaisir de cette visite tardive ?

- Une simple requête que je viens vous soumettre. Voyez-vous, j'ai par confusion égaré mon habit dans vos bras. Vous devez désormais être malgré vous propriétaire de ce bien m'appartenant.

- Oh, je vois. Monsieur se donnerait il la peine d'entrer dans mon humble demeure ?

Nous éclatâmes d'un rire d'enfant et il entra. Je n'avais pas pensé à la probabilité qu'il étudie et juge l'endroit dans lequel je vivais. À son regard, je compris que j'avais eu tord. Il regardait partout, observait chaque recoin de la vaste pièce qui me servait à la fois de cuisine et de chambre. Étudiant chaque objet, comme s'il voulait le mémoriser. Cette situation m'inconfortait au plus haut point. On dit qu'une maison en dit beaucoup sur son propriétaire... Que pouvait bien révéler mon studio sur moi ?

- Tu cherches ton « habit » ?, l'interrogeai-je avec humour.

Et j'allai lui apporter sa veste noire, posée sur la chaise à l'opposé de ce qui retenait son regard; la seule armoire qui contenait des objets personnels: photos de famille, d'amis, livres que je lisais ou relisais encore en ce moment, cadeaux et souvenirs d'enfance...

Je le tirai de ses observations curieuses:

- Tiens, son propriétaire lui avait manqué.

- Oh, je t'ai dit, tu peux la garder hein.

- Merci pour cette intention d'œuvre caritative mais je te remercie, j'ai de quoi m'habiller. Nous échangeâmes un sourire. Tu voulais me parler ?

- Carrément ! J'allais oublier ma proposition ! Est ce que ça te dirait de chanter et de jouer dans un groupe ? C'est des amis à moi, ils cherchent une chanteuse pour remplacer l'autre d'avant qui peut plus. Ils sont vraiment super sympas et très bons musiciens.

J'étais totalement prise au dépourvu..

- Chanter dans un groupe d'amis à toi ?... Wow ça me met pas du tout la pression ça..

- Tu as tout le temps que tu veux pour y réfléchir. T'es pas obligée de me donner une réponse maintenant.

- Mais.. attend deux minutes... Tu m'as vue ma guitare sur le dos mais comment tu sais que je chante ?

- Hm.. Je t'ai entendu. Ce même soir, avant que je te fasse peur.

- J'ai pas eu peur. J'ai été surprise, c'est différent.

- Bref, c'était avant, je passais dans le couloir où tu chantais dans la chambre de ton petit frère, enfin je suppose que c'était la sienne.

- Hm.. oui en effet. Donc tu m'as espionnée ?!

- Mais pas du tout ! Je passai par hasard, j'ai entendu quelqu'un chanter. Je me suis arrêté un moment et j'ai constaté que c'était vraiment bien. Et c'est qu'après en voyant ta guitare que j'ai fait le lien. Mais j'allais pas te dire alors qu'on se connaissait pas du tout que je venais de t'écouter à la porte, tu m'aurais pris pour un malade mental !

- Donc tu admets ?

- J'admets quoi ?

- Que tu écoutais aux portes, donc que tu m'espionnais.

- Tsss, tu m'exaspères, me dit-il en secouant la tête, avouant sa défaite. Crois ce que tu veux. En tous cas tu as vraiment un talent incroyable et ils seraient vraiment super contents de t'avoir avec eux, j'en suis sûr.

- Mouais... faut le dire vite.

- Tu me plais.

Ces Poussières FilantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant