Chapitre VI

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Ma guitare encore sur le dos, même après toutes ces péripéties, je revins m'asseoir, peu gracieusement, sur mon fidèle tabouret, qui trônait désormais fièrement en face de son contemporain qui avait vraisemblablement trouvé un cavalier lui aussi: Mattew.

Du moins allais-je l'apprendre peu de temps après mon retour triomphant, portant à bout de doigts ce qui restait de mon tee-shirt vaincu, qui lui, n'avait pas survécu à ce choc émotionnel.

- Voilà qui est mieux ! Encore désolé.. je suis maladroit. Je m'appelle Mattew.
Me dit-il, souriant (autant de ses dents que de ses yeux indigo), en me tendant une main sincèrement amicale.

La contrariété qui m'habitait jusqu'alors rendit les armes face à cette main bienveillante tendue vers moi. Je la lui serrai alors, avec retenue, pour être honnête, plus par froideur que par délicatesse. (Je ne supportais plus les contacts humains.)

Je lui rendis tout de même son sourire -cela n'engageait à rien- sans toutefois prétendre égaler l'assurance que le sien dégageait, en m'asseyant en face de lui et de mon café vide, témoin des turbulences qui avaient précédé ce calme apaisant.

- Salut, moi c'est Halley.

Finis-je par lui répondre, reprenant peu à peu mes esprits, tandis que la chaleur qu'avait provoqué dans tout mon corps le contact de ses doigts autour des miens (à moins que ce ne soit les restes de brûlure de café) se dissipait progressivement.
       Je réalisai le caractère insolite de cette situation:
Un hôpital. 2h30 du matin environ. Deux individus devant un gobelet vide. Moi, essayant de camoufler mon malaise sous un sweet ne m'appartenant pas. Et son propriétaire légal, un très beau jeune homme, il faut l'admettre.

C'est en peignant mentalement ce curieux tableau dont je faisais partie que je remarquai que la présence de Matthew dans un tel cadre n'allait pas de soi... Pourquoi un garçon de son âge choisirait de fréquenter un snack-bar glauque dans un vieil hôpital au milieu de la nuit ? Épuisée, je n'eu pas la présence d'esprit de retenir cette question indiscrète qui me brûlait les lèvres, ni celle de la formuler selon les codes et usages de bienséance qui régissent notre société:

- Qu'est ce que tu fais ici, en pleine nuit ?

- Je pourrais tout aussi bien te retourner la question, me lança-t-il, avec ironie, assez fier de sa réplique.

- Et bien, moi je prenais un café, avant qu'il se vide de son contenu sur moi. Mais tu dois certainement connaître ces événements donc ta question serait inutile, lui rétorquai-je, un sourire espiègle et vengeur se sculptant sur mon visage.

- Hm.. C'est vrai. Mais je te ferai remarquer que tu prends un café "en pleine nuit", je te cite, dans un hôpital, et avec une guitare sur le dos. Donc ma présence "ici" n'est pas plus étrange que la tienne, continua-t-il, amusé par ce retournement de situation.

Mon art de l'éloquence commençait à m'abandonner lâchement, et je n'avais plus la force, ni l'envie de chercher une bonne répartie à ce constat réaliste. Je cessai alors cette dispute d'orateurs et répondit de manière abrupte, mon visage se durcissant à cette évocation malgré moi:

- Je suis venue voir mon p'tit frère, Scott.

- Qu'est ce qu'il a ? Me demanda t-il.

- Un pneumothorax. Et, avec l'habitude d'un robot incompris, je m'apprêtais à lui fournir une définition simplifiée de ce traumatisme que subissait mon frère; c'est une perforation de son poum..

- Je sais ce que c'est. J'ai.. je fais des études de médecine, se sentit-il obligé d'ajouter afin de justifier son interruption. Accident ? Me questionna-t-il d'un ton connaisseur.

- Oui, de voiture, complétai-je, surprise par l'abrupteté et le calme de ses questions, sans faux-fuyants.

- Ça fait combien de temps qu'il est ici ?

- 12 jours, le renseignai-je sans hésitation, puisque je m'étais mise à les compter.

- Les récidives les plus fréquentes ont lieu au cours des 5 jours qui suivent l'intervention. Si ça fait déjà plus d'une semaine, il a beaucoup de chance de s'en sortir sans complications, me rassura-t-il.

Même si je savais déjà tout ça, je sentis une vague de sympathie monter en moi pour mon interlocuteur qui n'était pas seulement une belle carapace, vide de toute intelligence. Et c'était la première fois que je rencontrais quelqu'un d'autre que les médecins qui en savait autant, voire plus que moi sur le cas de Scott.

- Je sais, dis-je à voix basse, comme pour me convaincre de la vérité de son affirmation.

Et je notai avec une certaine reconnaissance qu'après avoir pris connaissance de l'état critique de mon frère, son regard n'avait pourtant pas changé. Quoi que légèrement moins pétillant peut-être, comme sincèrement empathique et compatissant, mais sans exprimer aucune pitié, aucune gêne, comme c'était le cas d'habitude.
J'avais en effet appris depuis quelques temps, lorsque j'évoquais l'état de santé de Scott, à être dévisagée avec une certaine condescendance, due au désarroi qu'éprouvent ceux qui observent un malheur de l'extérieur. Le regard distancé de celui qui craint d'être contaminé par le mauvais destin.
Non. Son regard n'était véritablement pas de ceux-là. Il était de ceux qui connaissent déjà ce mauvais destin.

Et durant l'espace d'un instant, flottant encore sur cette sensation d'être entièrement comprise, il était parvenu à ses fins. Il avait réussi à me détourner de la question que je lui avait posée.

Que faisait-il ici ?

Ces Poussières FilantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant