Chapitre VIII

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       Nous étions dimanche. 7 jours s'étaient écoulés depuis cette étrange nuit.

       Je n'avais pas appelé Matthew et ne l'appellerai sûrement pas. Après des heures à tourner dans ma tête en ébullition le peu d'indices qu'il avait daigné me laisser, j'en étais arrivée à la déduction qu'il avait une copine. Oui, c'était certainement ça. Après une visite à l'hôpital à sa grand-mère dans la soirée, il aurait dû rentrer mais, pour une raison quelconque, il était resté. Avec moi.
Au matin, lorsque l'atmosphère de la nuit et sa mauvaise influence eurent été dissipés, il avait réalisé son erreur, avait pris peur d'être démasqué et avait filé retrouver les draps rassurants de sa belle, en priant pour qu'elle fut encore endormie et qu'il n'ait pas à lui fournir une explication qu'il savait, par expérience antérieure, bancale.

       En mon fort intérieur, je remerciais les circonstances inconnues qui avaient fait en sorte que je possédais désormais son numéro, et non pas l'inverse. Parce que je savais pertinemment sans oser l'admettre, que s'il m'avait appelée, je n'aurais pas eu la volonté de résister une seconde. De toute façon, j'avais d'autres problèmes bien plus importants à résoudre que ceux d'une préadolescente guidée par son escorte d'hormones que je n'étais plus.

       Ma priorité, c'était Scott. Son état s'était amélioré et stabilisé. Il n'avait fait aucune rechute depuis sa dernière opération et se montrait toujours aussi enjoué et optimiste, ce qui faisait ma joie et celle des infirmières. Le week-end dernier, j'avais réussi à lui consacrer mes journées entières, mangeant même sur place dans sa chambre où je lui avais emmené en fraude des sandwichs provenant d'une boulangerie à l'extérieur, me sentant dans la peau d'une dealeuse aguerrie. Scott avait quand à lui interprété le rôle sous-jaçent du drogué qui, après des jours de privation, recevait enfin sa dose de calories comestibles.

       Il avait innocemment abordé, encore une fois, le sujet de "maman":

- Dit Halley, pourquoi elle vient pas me voir maman ?

       Il ne savait pas. Personne ne lui avait dit. Moi non plus.

       Comme papa, je n'avais pas voulu prendre la responsabilité de créer de nouvelles crispations sur son visage déjà si frêle. Des crispations causées par la douleur dont elle était encore une fois la cause. Combien de fois avais-je voulu mettre ma petite personne de côté pour lui annoncer la vérité. Il méritait pourtant de savoir. Il avait subi assez de traumatismes et perdu assez de son insouciance pour ne plus être infantilisé comme un nourrisson.

       Jamais il ne m'avait posée à moi cette question aussi directement et j'étais toujours parvenue à détourner ses interrogations par quelques distractions alentours bienvenues. Mais ce jour-là c'était bien plus difficile. Je lui avais pris une de ses petites mains dans les miennes et lui avais répondu avec le plus d'assurance que ma volonté me l'avait permis:

- Elle avait un billet retour d'avion qu'elle ne pouvait pas échanger. Là, elle doit être au travail.

       Et je l'avais imaginée en serrant les dents à l'endroit où elle devait réellement être à présent. Là où elle méritait d'être. Là où je ne voulais pas que son petit garçon sache qu'était sa maman. Mon regard dur et fuyant n'avait bien assurément pas échappé à l'observation attentive de mon petit frère. A son tour il m'avait jeté un regard accusateur quoi que sans aucune malveillance. J'y avais décelé une certaine tristesse. Non, de la déception. Et c'est ça je crois qui m'avait achevée.

- Pourquoi vous me mentez ?

       Je n'avais pas réussi à contenir les larmes dont je ne voulais surtout pas qu'il soit témoin. Elles avaient ruisselé le long de mes mâchoires crispées, remplies de toute l'amertume, la haine et la honte qui m'habitaient à cet instant. Elles étaient tombées sur les paumes de Scott, subitement, comme la vérité qu'il s'apprêtait à entendre.

       Je l'avais pris dans mes bras et m'étais exclamée, en tentant de limiter les tremblements dans ma voix:

- Oh, Scotty, je suis désolée, je suis sincèrement désolée. J'aurais pas dû, j'aurais dû tout te dire, depuis le début. Tu es grand, je sais, mais si on t'a rien dit, papa et moi, c'est pour te protéger tu sais, c'était pas contre toi, bien au contraire, on t'aime tant Scotty...

       Plein de calme et de détermination, il m'avait incitée à commencer,

- Alors ? Pourquoi elle vient pas me voir maman ?

       J'avais pris une grande inspiration, et m'étais lancée, encouragée par la maturité dont il avait fait preuve pour deux,

- Tu sais, quand papa a quitté maman, et qu'elle a déménagé, elle a commencé à déprimer. Ce n'est ni ta faute, ni la mienne, ni celle de papa, elle était déjà très fragile. Elle n'allait plus travailler, alors elle a été virée de son travail. Tu vois, après c'est un cercle vicieux.

- C'est quoi un cercle vicieux ?

- C'est une image pour dire que chaque action empire une autre qui empire la première, etc. C'est une situation en boucle dont on peut pas sortir. Là tu vois, maman était très triste, donc elle allait plus travailler, donc elle a perdu son travail, donc elle était encore plus triste... tu comprends ?

- Oui.

- Et quand était triste, elle buvait de l'alcool. Au début un peu et puis de plus en plus. Tu vois, l'alcool c'est nul. Elle croyait que ça la rendrait moins triste, mais c'est l'inverse. Ça ne résout pas les problèmes, ça les empire. Ça te fait oublier, un peu, pas longtemps, et puis après l'alcool s'en va de ton corps et tout revient, c'est encore pire, donc elle buvait plus et..

- Comme un cercle vicieux ?

- Oui voilà, t'as tout compris. Donc elle buvait et elle prenait de la drogue aussi. C'est un peu pareil que l'alcool, mais en plus dangereux encore. C'es toxique, et comme l'alcool, quand tu en prends, tu peux plus te contrôler, tu sais pas c'que tu fais.

- Et elle avait pris de la drogue quand elle a eu l'accident avec moi ?

       Sa question était arrivée tellement vite, tellement spontanément, sans filtre et sans aucun reproche que j'avais failli m'écrouler pour de bon. Mais j'étais parvenue à murmurer un faible

- Oui.

Et j'avais poursuivi, Papa et moi, on était au courant au début qu'elle buvait et puis qu'elle se droguait. Mais elle avait pris des médicaments pour arrêter, parce que c'est très difficile d'arrêter tout seul. Elle avait suivi un traitement, et elle nous avait dit qu'elle avait réussi à arrêter. Complètement... Quand elle m'a appelée pour me demander si elle pouvait venir te chercher à l'école à ma place exceptionnellement, pour te faire une surprise, je lui ai dit oui. Ça faisait deux ans qu'elle t'avait pas vu, et j'ai juste pensé que tu serais trop content de la revoir, qu'il y aurait pas de meilleur cadeau pour ton anniversaire.

- C'est vrai.

- Mais elle nous avait menti. Elle avait pas réussi à arrêter ou pas essayé du tout, je sais pas. En tous cas quand elle est venue te chercher ce soir là elle avait bu et s'était droguée. J'aurais dû anticiper, j'aurais dû me méfier, j'aurais dû te protéger. Je suis tellement désolée.

       Et pendant qu'il m'avait prise dans ses petits bras comme si j'étais l'enfant à réconforter qu'il était, je lui avait finalement avoué du bout des lèvres,

- Elle est en prison.

Ces Poussières FilantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant