Chapitre XIV

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       Les jours se succédèrent avec rapidité. Mon quotidien restait cependant inchangé : une succession de cours et de visites à l'hôpital, où l'état de Scott ne s'arrangeait malheureusement pas de manière spectaculaire. Mais il y avait désormais Jim. Nous passions tout nos cours communs ensemble, et nous nous voyions souvent après, les soirs où je n'allais pas voir Scott. On parlait pendant des heures, de tout et de rien, surtout de tout, en le faisant adroitement passer pour du rien. J'apprenais peu à peu à le connaître, prêtant une oreille attentive à ses rares et subtiles confidences, que de toute évidence, il n'avait pasl'habitude de faire.

Après une journée de cours particulièrement épuisante, je me rendis,comme de coutume, à l'hôpital. Avant même de pousser la porte de sa chambre, j'entendis la voix enthousiaste de mon frère s'exclamer :

- Halleeeeeey !!!

- Heeey, coucou toi ! Comment ça va ?

- Bof... J'avais hâte que t'arrives.. La télé marche plus depuis hier et les infirmières m'ont dit qu'elles pouvaient rien faire pour la réparer, qu'il fallait attendre, alors j'attends mais j'm'ennuiiie.

- Je vois.. Bon je pense que ce que je t'ai apporté ne pouvait pas tomber mieux alors, lançai-je avec un sourire espiègle, et une voix emplie de mystère.

       Scott adorait les surprises, quelles qu'elles soient. En ce qui concernait celle que je m'apprêtais à lui faire, je savais qu'elle lui plairait, pour la bonne et simple raison qu'elle n'était pas lefruit d'un hasard chanceux. L'infirmière préférée de Scott m'avait envoyé un message hier soir pour m'expliquer la panne de télévision (passe-temps majeur des résidents), pour que je lui trouve une activité de substitution temporelle. Je lui tendis alors les objets que j'avais dans ma poche.

-Waaaooouuu, c'est trop trop cool Halley, trop merci ! S'exclama-t-il en prenant le mp3 et les écouteurs, c'est même pas mon anniversaire en plus, et j'en voulais trop un ! T'es trop ma sœur préférée, me remercia-t-il dans une tentative de m'entourer de ses petits bras.

Hmm.. Si mes souvenirs sont exactes.. je suis ton unique sœur Scotty, lui fis-je remarquer en riant.

       Et je lui montrai comment marchait le mp3, ainsi que les 300 chansonsqu'il adorait que j'avais téléchargées toute la nuit précédente. Et nous passâmes le reste de la soirée tous les deux allongés surson lit, à écouter cette playlist, dont mon petit frère connaissait toutes les paroles.

       Je le regardai avec amour chanter avec passion le refrain d'une chansonqu'il aimait particulièrement. Qui saurait rester des mois coincé dans un lit d'hôpital sans jamais se plaindre, en gardant cette joie de vivre que de rares personnes savent trouver ? Scott était objectivement incroyable. Je contemplai une nouvelle fois son visage rond, ses grosses joues, son grand sourire dépourvu d'une dent, et ses boucles éparses, et pensai encore une fois.. Un ange.

       Puis vint une de nos chansons favorites à tous les deux. Il empoigna un micro invisible, mimant un chanteur passionné, remettant ses cheveux en arrière, avec une expression tellement sérieuse que je m'écroulai de rire. Il me passa l'objet imaginaire, dans la perspective d'un duo inoubliable. Il ne m'en fallait pas plus pour me mettre dans la peau d'un complice parfait.

       Après de nombreuses autres énergiques interprétations, pressée par l'imposante horloge qui sonnait silencieusement l'heure déjà dépassée de la fin des visites, j'embrassai Scott et sortis de sa chambre en baillant.


       Je déambulais dans le couloir désert comme une vielle femme atteinte d'Alzheimer qui aurait oublié le numéro de sa chambre. J'entrai les yeux mi-clos dans l'ascenseur, et appuyai automatiquement sur lebouton, attendant en fermant les yeux que la porte se referme sur moi. Après quelques secondes, je sortis de cette cage, envisageant de prendre un café avant de prendre le volant, sentant que mes jambes ne me portaient plus. Étrangement, je ne reconnus pas le paysage hospitalier qui s'offrait à ma vue trouble. Pensant à uneffet néfaste du sommeil sur ma mémoire visuelle, je décidai à avancer droit devant moi. Peut-être avait-il eu un changement de peinture, ou un déplacement de meubles, me dis-je.

       Tout était silencieux, et j'avais l'impression objectivement réaliste que j'étais la seule personne debout. Ça me convenait. J'aimais la solitude. Perdue dans mes pensée, j'en avais oublié ma quête de reconnaissance des lieux que j'étais pourtant sensée connaître comme ma propre maison. Un regard circulaire m'assura que je n'étaispas au bon endroit. Evidemment, j'avais dû me tromper d'étage. Mais, alors que je m'apprêtais à tourner les talons, je perçus des voix, non loin de là, qui attisèrent ma curiosité aiguisée. Dans mon sommeil éveillé, elles parurent m'appeler, et je me dirigeai vers elles comme un matelot se dirigeant vers le chant des sirènes.

       J'arrivai alors à la porte 222, contre laquelle je collai illicitement une oreille clandestine et indiscrète. Je distinguai alors deux voix :une voix de femme, aiguë et rendue tremblante par un âge que je devinai avancé. Une seconde voix émanait de temps en temps, mais discrète, comme dans un retrait profondément respectueux. Cette voix était grave et douce, rassurante, apaisante. Il me semblait que je l'avais toujours entendue.

       Arrête d'écouter aux portes et rentre chez toi. Regarde toi, tu es pathétique, me sermonna ma voix intérieure, toujours bienveillante. Chuuut,  lui intimai-je, j'écoute, me rebellai-je. Et je me concentrai sur la tâche que je venais de meconfier : percer le mystère de la chambre 222. Avec beaucoup de chance, cela me réveillerait assez pour n'avoir pas à passer par la case café-dégueulasse-et-brûlant-du-snack. Je tendis l'oreille attentivement.

- Mon cher petit, je comprends ce que tu vis mieux que tu ne le crois. Ce n'est pas facile, je te le concède.. Mais il faut que tu fasses un choix.

- Mais comment ?

- Ne te précipite pas. Je sais que ce n'est pas un conseil évident à appliquer pour toi, mais c'est très important, fait moi confiance.

- Je ne veux pas tout perdre..

- Mais tu n'as encore rien à perdre pour l'instant. Tu peux encore faire marche arrière et oublier tout ça.

- Mais comment l'oublier ?

- Ecoute moi mon garçon, tu vis dans l'urgence, tu ne veux rien rater, et c'est normal. Tu es jeune, et tu veux profiter de tout ce que cette jeunesse peut t'offrir. Mais réfléchis bien avant de te lancer dans quoi que ce soit. Ce n'est pas simple, et tu voudrais oublier que ça ne l'est pas, mais ça te rattrapera. Alors réféchis bien.

- Mais je l'aime.

- Oh, mon chéri, tu connais si peu de choses de l'amour.. Je dois te dire que le monde n'est malheureusement pas une comédie musicale, où l'on chante sous la pluie.. Il faut que tu te défasses de tes contes de fées.

- Mais vous ne comprenez pas... elle est ma fée.

- [...]

- Merci Mme Willow, merci pour tout.

- Bonne nuit mon grand, à demain.

       Jeme précipitai hors de la porte, et courrai vers l'ascenseur, où je parvins avant d'entendre la porte s'ouvrir et se refermer. L'ascenseur mettait un temps fou à monter, et j'entendis des pas assurés se rapprocher de moi. Mon dieu pensai-je, faîtes que le propriétaire de la voix ne se soit pas aperçu de ma présence illégale et ne vienne pas vers moi pour m'étrangler.

Enfin, la porte coulissante s'entrouvrit devant moi, et je me ruai avec leplus de sang froid possible dans ce bloc de fer froid, baissant lesyeux vers les boutons, pour choisir le bon cette fois. Mais c'étaittrop tard, l'individu s'était glissé avec discrétion dans l'ascenseur. L'heure tardive et l'endroit dans lesquels je metrouvais firent éclore dans mon imagination des milliers de scénarios, accordant à cet individu le rôle d'un psychopathe aguéri.

Je finis par lever les yeux vers l'homme posté à mes côtés.

Mêmes'il était de dos, je le reconnus aussitôt.



 Mattew. 


Ces Poussières FilantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant