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Ma mère m'a dit que le monde était plus simple quand elle avait mon âge.

Elle m'a dit que les gens étaient libres de leurs choix, de leurs valeurs et de leurs convictions. Qu'ils étaient libres d'être eux-mêmes.

Quant à leur vie, elle ne regardait qu'eux. Une vie remplie de mystères et de secrets que les gens se réservaient le droit de garder ou non.

Je rêvais en m'imaginant vivre comme ça.

Pour finir, ma mère m'a dit que tout avait changé depuis qu'il était arrivé.

Yoann Mc Cowen.

Le dirigeant de notre pays depuis maintenant seize ans.

Non, ce n'est pas un président, ni un roi. C'est un dirigeant. Comme une espèce de directeur d'école mais en version plus large.

Un homme macho, sexiste et probablement frustré sexuellement, qui a décrété que garder sa vie secrète était une perte de temps immense pour les gens en face de nous et que nous n'avions plus le droit à nos secrets.

On appelle ça une dictature.

Maman m'avait expliqué qu'à son époque, la dictature était quelque chose de lointain, quelque chose que seules quelques personnes âgées avaient connue. Il parait qu'avant on avait affaire à une démocratie. Une république où les choix pour la France étaient votés par le peuple et qu'on choisissait ceux qui étaient le plus choisis même si ça ne plaisait pas au Président.

Aujourd'hui c'était l'inverse.

Et des lois stupides que seul le Dirigeant appréciait, il y en avait.

La première a été instaurée deux ans après son arrivée.

" A partir de ce jour, chaque citoyen aura l'obligation de se présenter au Centre De Vie de la capitale à ses quinze ans, pour se faire marquer sur la peau (...) "

En d'autres termes, nous étions obligés de nous faire tatouer certaines informations sur la peau.

J'avais quatre ans ce jour-là et pourtant je me souviens encore de la réaction de ma mère lorsque la loi est passée. Elle était encore plus remontée contre lui qu'avant.

Ça avait commencé avec la santé. Si nous avions une quelconque maladie ou anomalie dans le corps, nous devions nous le faire " marquer " sur le poignet, du côté des veines.

Ma mère m'avait dit que c'était honteux de tatouer des enfants, mais que d'un autre côté ils avaient raison. A son époque ils avaient une " carte de maladie ", si quelqu'un avait un accident ou autre, les pompiers ou les ambulanciers se réservaient le droit de fouiller dans le sac de la personne pour voir si elle possédait cette fameuse carte.

Facile à perdre ou à oublier.

Ainsi, je voyais des personnes avec " Trisomie 21 " ou " Mutation F " et un nombre qui suivait, sur le poignet.

Moi, j'avais la chance de ne rien avoir.

En revanche mon père, lui, n'avait pas cette chance. Toutes les personnes de moins de quatre-vingt ans avaient eu l'obligation de se faire marquer le plus rapidement possible, même si elles étaient âgées de plus de quinze ans. Alors il avait maintenant " Hémophile ", tatoué sur le bras.

Mais ça ne suffisait pas à Monsieur Mc Cowen. Il nous avait ensuite obligés à nous faire tatouer l'initiale de notre sexualité sur la poitrine ou le torse. Puis ça a été notre date de naissance sur la clavicule.

Je me demandais s'il comptait arrêter un jour.

Ainsi, j'avais un " H " sur la poitrine, et " 24/06/2025 " sur la clavicule. Nous avions quand même le droit de faire d'autres tatouages, à condition qu'ils laissent une visibilité complète à nos " informations ".

Parlons maintenant de la deuxième loi.

" Interdiction de faire de nouveaux enfants. "

Simple, mais efficace. Les " Particuliers " comme on les appelait, n'avaient pas le droit de faire d'enfant, et s'ils en avaient déjà, ils n'avaient plus le droit d'en faire naitre de nouveaux.

Si par malheur des Particuliers faisaient un nouvel enfant, c'était l'avortement obligatoire.

C'est ainsi que nous arrivons à la troisième loi. La pire selon mes parents.

" Obligation de se présenter au Centre De Vie, si une invitation vous est envoyée. "

Le Centre De Vie, là où nous nous faisons tatouer, avait plusieurs bâtiments. Un petit, réservé aux marques ou autres et un grand, rempli d'autres petits bâtiments réservés aux " Élus ".

A dix-huit ans, nous avons deux chemins qui se présentent à nous: les Particuliers ou les Élus.

Les Particuliers sont des gens comme mes parents ou comme n'importe qui. Qui n'étaient là que pour travailler et ne plus avoir d'enfants jusqu'à ce qu'ils disparaissent.

Quant aux Élus, l'année de leur dix-huit ans ils reçoivent une lettre d'invitation - plus ou moins invitation -. En réalité, c'est encore une obligation. Lorsqu'ils reçoivent cette lettre, ils doivent se présenter sous un mois au Centre, où ils vivront désormais.

Mais " vivre " est un bien grand mot lorsqu'ils n'ont plus de libertés. Le Centre forme des " couples " entre une personne d'une beauté inégalable et une personne d'une intelligence inégalable. Ces gens devront désormais vivre ensemble et fonder une famille qui formera " l'Élite ", et faire ainsi une population soi-disant meilleure.

N'importe quoi.

Mes parents m'ont toujours dit que j'étais belle. Après tout, quels parents ne disent pas ça à leurs enfants ? Mais selon eux c'était différent pour moi. Mes parents disaient que c'était une vraie beauté et ils ont voulu m'empêcher de vivre cette vie au Centre. Alors, pour y remédier, mes parents ont fait le choix de me scarifier le visage.

J'avais sur mon visage deux petites cicatrices au niveau de mon menton et une longue qui traversait toute ma joue gauche.

A l'école, beaucoup d'enfants s'étaient moqués de moi à cause de ça. J'en ai voulu très longtemps à mes parents pour m'avoir fait vivre ça. Ils disaient me trouver belle et ils avaient tout gâché. J'étais devenue hideuse selon les autres enfants. Pendant longtemps, je voulais m'éloigner le plus possible de mes parents car je les voyais comme des psychopathes. Je regrettais tellement, et aujourd'hui je comprenais leur geste. Si j'avais eu la possibilité d'avoir des enfants et qu'on avait décidé de me les retirer, j'aurais probablement réagi de la même manière.

Ils avaient fait ça pour m'empêcher de vivre seule, dans un Centre rempli d'horreur.

Pourtant, moi Ariana Moléka, jeune fille scarifiée au visage, le 24 Juin 2043 jour de mes dix-huit ans, j'avais reçu cette lettre.

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