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- Jade était lesbienne, vous le saviez ?

- Oui. Elle me l'avait dit pendant notre première rencontre, parce que j'avais vu son tatouage.

- Pourtant ils l'ont emmenée ici. Ils l'ont emmenée pour qu'elle couche avec un homme. C'est littéralement du viol.

- Oui et nous sommes dans une dictature, tu as exactement les même mots que j'ai eus.

- Jade n'était pas comme les autres. C'était une fille douce, tolérante, ouverte d'esprit et très drôle. Elle avait trois ans de plus que moi, mais ça ne l'empêchait pas de me voir comme un garçon de son âge. On vivait à côté elle et moi, on était voisins depuis l'école primaire et on s'est tout de suite bien entendu. Quand je suis entré au collège, je me suis fait harceler, insulter et j'ai vécu la pire des choses. Un jour, des garçons se sont mis à plusieurs sur moi et se sont amusés à me taper. Jade est venue et leur a mis la raclée de leur vie.

Un petit sourire était apparu sur le visage de Nath et je l'imaginais revoir les images dans sa tête.

- Depuis, plus personne n'a osé me faire de mal et Jade m'a appris à devenir celui que je suis aujourd'hui. Elle m'a appris à avoir confiance, elle m'a appris à devenir un « leader » comme elle disait. Je ne me laisse plus faire et au contraire je suis même prêt à attaquer.

Ces mots m'avaient vraiment touchée et je ne savais plus quoi penser. Je l'avais écouté avec une profonde sincérité et une tristesse m'avait envahie.

- Jade a toujours été là pour moi, elle m'a sauvé la vie plus d'une fois et qu'est-ce que j'ai fait en retour ? Quand j'ai appris qu'elle avait été choisie je n'ai jamais ressenti une telle douleur, et je n'ai rien fait ni tenter pour la sauver.

- Tu n'aurais rien pu faire. Avais-je dit difficilement tant ma gorge me brûlait.

- Quand j'ai appris que j'étais choisi, j'ai était heureux. Plus rien d'autre ne comptait, j'allais enfin la retrouver. Puis ils m'ont appris la nouvelle. Il savait que nous étions amis et ils n'ont pris aucune pincette. Je ne me souviens plus de rien, ils m'ont tout fait oublier à part l'information.

- Je suis tellement désolée.

- Je ne sais pas ce qu'elle ferait à ma place, je suis complètement perdu.

- Tu ne peux rien faire, Nath. Accepte-le.

Il avait levé ses yeux vers moi et m'avait lancé un regard noir qui en disait long.

- Vous me demandez d'oublier ma meilleure amie ?! D'accepter de vivre et servir pour ceux qui l'ont tuée ?!

- Non, je n'ai pas dit ça.

- Alors quoi ?!

- Je te dis de ne pas te faire vivre un enfer, de ne pas te torturer pour ça ! Si tu savais combien de fois j'ai eu envie de détruire ce Centre, de tuer tout le monde ici, ou de faire la même chose que Jade. Et pourtant je suis devant toi aujourd'hui dans un Centre en excellent état.

- Pourquoi vous n'avez rien fait ?

- Je te l'ai dit pourquoi.

- Vous aviez le choix !

Il m'avait mise hors de moi. J'étais triste, furieuse, la haine était montée en moi et j'avais envie de le frapper, le réveiller, lui faire comprendre ce que je pensais.

J'avais avancé mon buste et ma tête vers lui et je lui avais parlé distinctement.

- Marc et moi on passait nos soirées à imaginer comment détruire ce Centre, comment renverser Supra ou McCowenn, nous avions des idées et des projets plein la tête. J'ai passé des jours et des jours à pleurer la mort de ma vie et celle de Jade. Tu n'imagines même pas dans quel état j'étais et j'ai continué à faire ces plans.

- Alors pourquoi le Centre est encore là ?

- J'ai passé six semaines loin de Marc, à me faire insulter et agresser par des gardes, à me faire électrocuter pendant des heures chaque jour, à revivre des images de mon passé, la fausse mort de mes parents et ce, l'estomac complètement vide ! Je n'ai jamais été aussi faible de toute ma vie, ils m'ont menacée et ont menacé mon mari. Le seul moyen de me sortir de cet enfer était d'accepter ce travail que j'ai détesté très, très longtemps. Aujourd'hui je marche droit pour protéger ma fille et mon mari et on ne peut pas me reprocher ça. J'essaie de t'aider alors que des souvenirs absolument horribles retrouvent ma mémoire petit à petit, alors si tu n'es pas capable de me comprendre, ainsi soit-il !

Je m'étais levée rapidement et j'avais ouvert la porte dans un excès de colère.

- Attendez !

Je ne l'écoutais plus, je ne voulais plus l'entendre et pourtant. J'avais marché d'un pas colérique et rapide et je voulais à tout prix m'enfuir de ce couloir.

- Ariana.

Plus un geste. Je m'étais arrêtée et j'étais complètement paralysée au beau milieu de ce couloir. Il avait prononcé mon prénom d'une voix tellement calme.

Personne ne m'avait appelée comme ça depuis trois ans. J'avais tiré un trait sur mon ancienne vie et ça avait commencé par oublier mon ancien prénom. J'avais interdit tout le monde ici, y compris Marc à m'appeler comme ça. Je n'étais plus Ariana, je n'étais plus cette adolescente de l'ancien monde. J'étais Aria, adulte du Centre qui avait désormais sa propre famille.

Je m'étais retournée doucement et je l'avais fixé droit dans les yeux, à l'autre bout du couloir.

- Comment est-ce que tu connais mon prénom ?

- Vous croyez que c'est seulement pour l'intelligence qu'ils m'ont pris ?

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