Les âmes se rencontrent sur les lèvres dès amants

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Les âmes se rencontrent sur les lèvres dès amants

Percy Bysshe Shelley


« Parti faire un tour »

« En balade »

« Dehors »

« Elle revient »

« Et tu veux que je le sache comment ! »

« Ebat' »

« Tu veux qu'on se fâche ? »

Et tant d'autres, le colosse répondait ce qu'il pouvait quand on lui demandait où la kosilka était. Dire qu'il cela mettait ses nerfs à rude épreuve était un euphémisme. Au fil du temps, plus grand monde ne lui posait cette question, déjà à ton n'était pas dès plus aimable dans cette situation et ensuite, Ana finissait toujours par revenir.

Alors à quoi bon ?

Dès qu'il le put, il se précipita chez elle, il fallait qu'il arrive au bout de ses Palecs. Un sentiment d'urgence venait de naitre dans ses veines, il se mit même à courir tant la pression fut forte. Pourtant il ne voulait pas le faire, un chef qui courait n'était jamais rassurant pour le peuple. Cependant il ne put s'en empêcher, c'était bien plus fort que lui. Ces membres le brûlaient, il devait aller plus vite. Une poignée de minute plus tard, qui pour lui, lui avait semblé durer des heures, il se retrouva enfin devant le petit bureau en bois d'Ana. Bêtement, il s'était dit que cet empressement qui pulsait dans son corps était le signe de son retour. Le vide de la demeure fut un douloureux rappel.

Avait-il fermé la porte ? Il ne s'en souvenait plus, il alla donc vérifier avant de passer dans la cuisine pour attraper une nouvelle bouteille et quelques petits pains. Il n'avait pas non plus fait attention aux nombreuses personnes qu'il avait bousculées pendant sa course, pour être totalement honnête il ne les avait pas vues, ni entendu.

« Autant te le dire tout de suite l'ami, ça ne va pas être de tout repos. Alors, je serais toi je prendrais une bonne rasade d'alkogol' avant le grand départ ! Pendant ton voyage, n'oublie jamais que je ne t'en veux pas. Je ne t'en ai jamais voulu. Bienvenue dans mon crâne, l'ami. »

Anton l'écouta, la bouteille ne fit pas long feu. Il s'étouffa même un peu. Anton se concentrait pour garder son esprit fermé, il ne voulait pas se poser de questions, il ne voulait entrevoir l'ombre d'une réponse. Elle savait ce qu'elle faisait, de cela le colosse en était persuadé.

- Aller... soupira-t-il en se frottant la poitrine. Il est temps...

Dés l'instant ou le pulpe de son doigt toucha le Palec, l'ami fut catapulté à des siècles et des siècles en arrière sans le savoir. Il glissait à toute vitesse dans ce qui lui semblait être un tunnel aux couleurs chatoyantes. Il n'avait pas l'impression de tomber, plus de flotter sans pouvoir s'accrocher à quoi que ce soit. Quelque part c'était assez reposant de se laisser transporter ainsi. Il n'avait ni froid ni chaud. Ni faim ni soif. Il se sentait bien. De temps à autre un son s'accrochait à ses oreilles, il ne savait pas d'où il provenait ni ce que c'était vraiment, pourtant il aurait bien mis sa main à couper que c'était elle.

- L'ami ?

Anton se retourna vivement, il cherchait d'où la voix venait. Cette petite mélodie qui avait tant ravi ses oreilles et fait vibrer son cœur lui manquait déjà tant. Et il venait de l'entendre, son cœur bondit si fort dans sa poitrine que c'en fut presque douloureux.

- Ana ??

- Là, juste là Anton.

Le colosse l'aperçu, Ana, sa Kulka comme il aimait lui dire quand ils n'étaient que tous les deux, était juste devant lui. La kosilka venait d'apparaître par magie devant ses yeux pétillants d'un profond sentiment. Elle était si belle, l'ami se sentit presque naître en lui une pointe de timidité. À son sourire, il comprit que ce n'était pas vraiment elle. Il se sentit déçu.

Devant lui, une illusion parfaite d'Ana s'avançait. Elle qui ne souriait plus, qui ne semblait plus savoir comment faire après toutes les horreurs de leurs vies, souriait à pleine dent à présent. Elle paraissait plus sereine aussi, moins sombre. Non, définitivement ce n'était pas vraiment elle, c'était sûrement pour cela qu'il ne tiqua pas quand elle l'appela par son prénom au lieu de « l'ami ».

- Ce n'est pas vraiment toi.

- T'en as pas marre d'être malin ? répliqua le sosie en posant une main sur son épaule, son rire cristallin secoua ses fins bras.

Le colosse frissonna, lui qui aimait particulièrement son touché, il eut envie de croire que la femme devant lui était bien elle.

Il saisit avec douceur sa main, la retourna et embrassa amoureusement sa paume. Ana soupira d'aise.

- Je n'ose pas imaginer le nombre de questions que tu dois te poser.

- T'es où ? répliqua l'ami en la serrant tout contre lui. Illusion ou pas il ne voulait plus la lâcher, elle passa ses bras autour du corps de son amant et posa sa tête sur son large torse.

- Loin, j'ai a faire et non, toi, tu restes à la maison.

L'ami serra les dents en même temps que son étreinte. Ces quelques mots lui arrachaient le cœur.

- Tu savais que notre fils avait une nouvelle conquête ?

- Sais-tu qui c'est ?

Avant de répondre, le colosse caressa le visage d'Ana du bout des doigts. Il fit le contour de ses cicatrices, des creux de son front et de l'énorme brûlure qui lui mangeait toute une joue.

- Aucune idée.

Ces deux êtres échangèrent encore un moment, au fond d'eux ils savaient que ce moment ne durerait pas. Alors, ils gagnaient du temps comme ils le pouvaient.

Ils s'embrassèrent aussi longuement, bien à l'abri dans cet autre Mira, ils pouvaient s'aimer comme ils l'avaient tant souhaité et si peu fait.

Sans un mot, avec à peine un regard le colosse comprit qu'il était temps pour lui de voir ce qu'Ana lui réservait. Il captura ses lèvres une dernière fois et elle disparut comme elle était apparue. D'un coup et sans prévenir, les bras d'Anton tombèrent le long de son corps. Tout en essuyant rageusement l'unique larme qui coulait sur sa joue, le paysage changeait. Tout se modifiait autour de lui, le tunnel coloré laissa sa place à un environnement qu'il connaissait par cœur.

Le clan neutre. Leur lieu de naissance.

Sans prévenir, l'ami fut projeté en avant ! Ce fut si violent que sa tête partit en arrière sans qu'il ne pût faire quoi que ce soit. Avant d'être assommé par la douleur il se rendit compte qu'il n'était plus lui, mais Ana.

La jeune fille courait aussi vite que ces petites jambes bien trop maigrelettes le lui permettaient, elle courait contre le vent s'étant de toutes ses forces son trésor du jour contre son cœur.

L'enfant, qui aurait dû en être encore une, avait appris à voler avant de savoir parler. Voler pour manger, pour survivre, pour se protéger, pour ne pas être volé. Voilà à quoi se résumait l'existence d'Ana. Voler pour vivre un jour de plus.

Son corps était recouvert de crasse et ses cheveux aussi foncés que la suie et ses yeux... ils avaient encore cette étincelle propre aux enfants.

Dans son dos, le bruit du marchand résonnait. Il hurlait à qui voulait l'entendre qu'une gamine venait de tout lui voler. Personne ne réagit, lui-même volait la marchandise qu'il revendait. Tout autour d'eux des hommes, des femmes et quelques enfants aussi décharnés et puant les uns que les autres tentaient de survivre. Certains, ceux qui portaient le manteau, étaient assis là et attendaient que la mort les emporte enfin. Le manteau était en faite une odeur, mais une odeur si forte et âcre qu'elle pourrissait l'âme avant de tuer. Cette odeur était le signe que la mort allait bientôt venir chercher le pauvre malheureux. Alors, on le laissait là, sans même une attention. De toute façon le bougre était déjà mort. Libère comme aurait pu dire d'autre.

Étant né au milieu de tout cela, cela ne touchait plus Ana. Pour elle, seule sa survie comptait et de temps à autre sa mère. 



Vybor Kosilki, le choix de la faucheuse. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant