Chapitre 5 : Révèle-moi tes secrets

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Pendant quelques secondes, Pierre resta muet comme une tombe. Sa respiration et son pouls étaient devenus plus rapides. Des gouttes de sueur coulaient sur son front ce qui trahissait la nervosité du jeune homme. Marie commençait à s'impatienter. Si c'est si important, pourquoi met-il autant de temps ? pensa-t-elle. Au bout d'un moment, Pierre se lança :
"Tes parents n'étaient pas ceux que tu croyais."
Cette phrase retentit telle une bombe dans le coeur de Marie. Elle s'attendait à tout sauf à ça. Mais bien sûr ! J'ai vécu 16 ans avec mes parents, mais non, je ne les connais pas ! Il est vraiment sérieux ? Marie bouillonnait de l'intérieur. Comment peut-il dire ça ?
"Avant que tu ne t'énerves, commença Pierre, je dois te dire pourquoi j'avance ça. Mais tu dois me promettre que tu ne m'interromperas pas."
Marie hocha la tête et tous deux s'assirent sur le lit de Pierre.
"Depuis que l'armistice entre la France et l'Allemagne a été signée, des gens ont tenté de faire passer des juifs dans le sud pour les protéger des nazis et des collabos. Ces actes sont courageux mais très dangereux. Dans notre village, plusieurs personnes le font." Il marqua une pause en soupirant. "Tes parents... Tes parents en faisaient partie."
La surprise se lisait dans les yeux de Marie. Mes parents étaient des résistants !
"La nuit où ils sont... Pierre hésita. Où c'est arrivé, je voulais me rendre chez toi pour les prévenir qu'après l'exécution de Lucile et Jean, j'avais entendu des gens parler avec des miliciens. Ils leur disaient que Lucile et Jean n'étaient pas les seuls à faire passer des juifs. Je voulais juste leur dire d'être encore plus prudents que d'habitude. Mais ça ne c'est pas passé comme je l'espérais. Je ne pouvais pas le faire en plein jour, c'était trop dangereux. Mais peut-être que ça se serait passé autrement."
Marie ne sut comment réagir. Plusieurs émotions contradictoires se mêlaient dans son coeur. Elle était triste à cause de la mort de ses parents et celle de Lucile et Jean, mais elle était heureuse qu'ils se soient conduits en héros. Elle était en colère qu'ils le lui aient caché, mais elle les en remerciait quand même. Elle se sentait trahie parce qu'elle aussi voulait aider les juifs, mais elle ne pouvait qu'être en admiration devant le courage de ses parents.
"Je... je ne sais pas quoi dire." Les larmes lui montaient aux yeux mais elle voulait rester forte alors elle ne pleura pas.
"Je sais que c'est dur à avaler, dit Pierre d'une voix qu'il voulut la plus douce possible. La seule chose dont tu dois te souvenir, c'est que tes parents étaient de véritables héros. "
Marie mit sa tête entre ses mains. Ça faisait trop, trop pour elle. Mais quelque chose d'autre la tracassait. Après avoir versé quelques larmes, elle releva sa tête en direction de Pierre.
"Comment savais-tu que  parents faisaient passer des juifs en douce ?"
Une lueur d'étonnement passa sur le visage de Pierre. Comment je peux lui dire ça ? Après de longues négociations avec lui-même, il se lança :
"Moi aussi je fais passer des juifs."
Marie soupira.
"Je ne sais pas pourquoi ça ne m'étonne pas, dit-elle. Dans un sens, je l'ai toujours su. Tes parents sont au courant ?
-Oui ma mère donne quelques provisions de temps en temps.
-Je voudrais tellement faire partie de la résistance, soupira la jeune fille. J'en ai marre de rester là à ne rien faire. Emmène-moi avec toi la prochaine fois. S'il te plait !
-Je ne peux pas pour la simple et bonne raison que mes parents refusent de me laisser y retourner depuis la mort des tiens. Et je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. C'est vraiment dangereux.
-Dangereux, dangereux ! Est-ce qu'il y a marqué " porcelaine" sur mon front ? Quand je veux faire quelque chose, on me dit toujours que c'est trop dangereux pour moi.
-Ce n'est pas seulement dangereux pour toi. Ça l'est pour tout le monde."
La jeune fille se leva en tournant le dos à son ami. Celui-ci se rapprocha d'elle et l'entoura de ses bras. La fille aux cheveux châtains ne le repoussa pas.
"Marie, je sais que tu es forte. Ça ne fait aucun doute, mais je tiens à toi plus que tu ne crois."
La jeune fille se retourna pour faire face à Pierre et elle perdit son regard dans le sien. Ils se regardèrent longuement. Leurs visages se rapprochèrent jusqu'à ce que leur lèvres se frôlent. Après quelques secondes, Marie et Pierre échangèrent un long et tendre baiser. Ce baiser n'était pas seulement la preuve d'un amour partagé, mais aussi celle d'un espoir. Après ce merveilleux moment, Marie posa sa tête sur le torse de Pierre et celui-ci la serra contre lui. Il restèrent comme ça pendant quelques secondes ou peut-être des minutes ou plus encore. Ils avaient tous les deux perdu la notion du temps.
***
Marie était aux anges. Cela faisait cinq jours qu'avait eu lieu ce fameux baiser. Elle avait réussi à trouver quelqu'un capable de lui faire oublier tous ses problèmes, comme si tous les malheurs accumulés pendant des années avaient disparu. Bien sûr, tout le monde était au courant dans la maison. On ne peut pas cacher ce genre de chose à une mère, avait dit Jeanne. Marie voulait tellement que rien ne change. Rien, sauf la guerre. La seule pensée de cette horreur suffisait à rendre triste la jeune fille. Cette guerre a commencé il y a si longtemps. Est-ce qu'elle se terminera un jour ? La guerre rendait toute vie compliquée.
***
Depuis quelques jours, Pierre et Charles étaient obligés de travailler de plus en plus tard le soir. Marie parvenait à garder espoir pour Pierre et Suzanne mais l'ombre qui avait commencé à recouvrir son coeur ne faisait que croître. La jeune fille voyait de moins en moins son bien-aimé, les repas étaient de plus en plus maigres et la peur toujours plus présente. Le désespoir commençait à gagner tout le monde, et quand le désespoir est là, la fin est toujours proche.
***
Marie et Suzanne se reposaient sur des chaises de la cuisine quand la porte s'ouvrit violemment. Charles et un autre homme aux cheveux roux aidaient Pierre à marcher. Son visage était tordu de douleur. Sa jambe gauche saignait abondamment malgré le garrot fait avec une chemise.
"Que s'est-il passé ? demanda Marie en amenant rapidement une chaise pour le jeune homme.
-Il s'est pris une caisse remplie de clous sur la jambe, répondit l'homme aux cheveux roux.
Il était grand et avait une importante musculature. Son regard couleur noisette était riche en émotion. La chemise qu'il portait avait sûrement dû être bleue avant d'être couverte de crasse. Jeanne arriva à toute vitesse et son regard prit un air terrorisé quand elle vit son fils, la jambe ensanglantée. Elle se reprit rapidement et apporta un grand récipient rempli d'eau et un torchon propre.
" Marie ! lança Jeanne. Va chercher une aiguille, du fil et de l'alcool."
La jeune fille partit en courant dans la pièce d'à côté. La femme aux cheveux blonds commença par placer la jambe de son fils sur un tabouret ce qui fit crier le jeune homme. Marie revint avec ce Jeanne lui avait demandé. Celle-ci dénoua la chemise qui faisait office de garrot. Elle prit le torchon dans le récipient et commença à laver la blessure du jeune homme. Marie se plaça derrière lui et caressa son visage en lui murmurant des mots doux pour apaiser la douleur. Pierre prit les mains de la jeune fille et les serra contre lui. Marie colla sa tête contre la sienne. Jeanne mit de l'alcool sur le torchon mouillé et continua de laver la jambe de son fils. La douleur lui faisait pousser des cris qu'il étouffait en fermant la bouche. Quand la femme aux cheveux blonds eut placé le fil dans l'aiguille, elle se tourna vers Charles et l'homme roux. "Venez le tenir", dit-elle avec calme mais sa voix tremblotante trahissait sa peur. Les deux hommes se placèrent autour du blessé et le tinrent fermement. Jeanne commença à planter l'aiguille dans la jambe de son fils ce qui valut à celui-ci un gémissement.
***
Tout le monde semblait épuisé dans le salon des Morel. L'homme qui avait aidé Charles à ramener Pierre était parti. Marie avait cru entendre que son nom était Étienne. La jeune fille était assise sur un fauteuil à côté de Pierre qui était toujours sur la chaise que Marie lui avait apportée. Celui-ci s'était endormi en tenant la main de la jeune fille sur sa jambe. Jeanne avait préparé du café et elle venait vérifier de temps en temps que la fièvre de Pierre ne montait pas trop. Suzanne, qui était restée à l'écart durant l'opération, s'était réfugiée sur les genoux de Charles. Celui-ci l'entourait de ses bras comme l'aurait fait un père avec sa fille. Une fois qu'elle fut endormie, Charles l'amena dans la chambre qu'elle partageait avec sa soeur. Je dois absolument leur dire, mais Suzanne est bien trop jeune pour l'entendre. Il revint dans le salon deux minutes après.
" Je dois vous dire ce qu'il s'est réellement passé à l'usine ", dit Charles avec gravité.
Marie et Jeanne redressèrent la tête en même temps avec un air surpris. Les yeux bleus de Jeanne avaient pris une teinte plus sombre. Ses mains étaient moites. Elle se doutait de ce que son mari avait à dire. La fatigue et la peur de Charles semblaient lui avoir fait prendre dix ans en quelques minutes.
"Ce que j'ai à vous dire ne doit pas sortir d'ici", commençait-il tandis que Marie et Jeanne acquiessèrent par un mouvement de la tête.
"Cette après-midi, continua Charles, nous avons eu la visite de la Milice et de soldats allemands. Ils hurlaient sur tout le monde. Pas besoin de parler allemand pour comprendre qu'on n'avait pas intérêt à faire un seul faux pas. On s'est tous mis en rang et une soldate nous a tournés autour pendant quelques minutes. De temps en temps, elle pointait du doigt un des travailleurs en criant Er auch. C'était totalement au hasard. Quand elle est revenue auprès des autres soldats, les miliciens ont commencé à emmener ceux qui avaient été désignés par la militaire. Un jeune a pris peur et a voulu s'enfuir mais la soldate allemande lui a tiré dans le dos. Il s'est écroulé en faisant tomber des caisses de clous. Pierre s'en ait pris une sur la jambe." Charles fit une pause pour boire une ou deux gorgées de café. "Je l'ai aidé à se relever et il a fait ce qu'il a pu pour faire le moins de bruit possible. On ne devait pas attirer l'attention. Deux soldats allemands sont venus chercher le corps du jeune homme et quand ils sont passés  devant sa " meurtrière", elle avait le sourire aux lèvres et ses yeux bleus brillaient d'excitation. Ses cheveux blonds tirés en arrière lui donnaient un air encore plus inquiétant. Une fois qu'ils sont partis, personne n'a osé faire le moindre mouvement. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes que nous avons commencé à ranger le désordre. On voulait être sûr que les miliciens et les Allemands étaient partis. Ensuite, Étienne et moi avons ramené Pierre, et vous connaissez la suite."
Une fois qu'il eut terminé son récit, personne n'osait plus parler ou respirer. On entendait seulement la lourde respiration de Pierre qui dormait encore. Marie et Jeanne avaient peur mais n'étaient pas surprises. Au bout de cinq bonnes minutes, Jeanne brisa le silence :
"Que va-t-il se passer pour le reste du village ?
-On n'a plus qu'à espérer qu'ils vont en rester là", répondit Charles.
La peur, voilà tout ce qu'il y avait dans la pièce. Tout espoir avait disparu, seule la peur restait.

Pour que le jour se lève [TERMINÉE] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant