Nostalgie

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Tout semble vivre au ralenti.
Ma lente respiration se mêle aux battements frénétiques des sabots d'Audacieuse sur le sable. La foule est en suspens à nos côtés, je n'entends plus rien, comme un silence religieux que seuls nos soufflements saccadés entravent. L'obstacle se rapproche et les derniers conseils de Clément résonnent dans mon esprit.

<< Le parcours est compliqué alors joue sur le temps, t'as le droit à une faute princesse >>

Mais gagner sur quatre points serait mal connaître ma fierté.
Un fin sourire se dessina sur mes lèvres inconsciemment et je me penchai en avant pour murmurer à l'oreille de la pur-sang :

<< Prête à tous les laminer ? >>

Et comme en réponse à ma provocation, ses foulées s'allongèrent, ses oreilles se dressèrent et je sentis tout son corps s'enflammer à l'idée de sauter.

Elle aimait ça, elle adorait même. C'était comme un plaisir îné inscrit dans ses gènes. Il suffisait d'obtenir sa confiance pour qu'elle montre son vrai talent. Mais avec une telle bombe à retardement la mission semblait impossible.

Jusqu'à ce qu'on se rencontre.

Plus que quelques foulées, je les comptais au ralenti. Je redressai instinctivement la jument aux derniers mètres avant l'obstacle. Elle bondissait sur place, trop pressée de franchir le vertical. Sous les ordres de Clément je la retenais et la laissait porter son poids et sa puissance sur ses postérieurs. Ses conseils résonnaient dans mon esprit comme le mantra de notre réussite :

<< Monte-la sur ressort, de sorte à ce qu'elle ne saute pas à plat. Pour la vitesse, laisse-la gérer, c'est son domaine >>

Quelques derniers mètres nous séparent du saut.

Une, deux...

Suspension. On survole l'obstacle. Atterrissage.

Une, deux, trois...

Décollage. Le double est passé. Plus que neuf autres.

Un large virage nous séparait du seul triple du parcours. Je ne la laissais pas galoper, elle me prendrait la main trop vite et tout déraperait. Avec elle, il faut constamment la garder occupée et au grand jamais ne la laisser prendre le dessus. Comme me l'a répété Clément maintes et maintes fois :

<<Il faut la monter comme un chewing-gum qu'on tend et relâche sans arrêt, si on le tend trop il se casse et si on le relâche trop il perd toute sa forme. De la même manière si tu la tiens trop elle s'arrête mais si tu la laisse filer alors là tu perds tout contrôle. À toi de trouver le juste milieu >>

Je la sentais bouillonner sous moi, elle voulait plus, foncer à toute vitesse, mais ce serait suicidaire et nous vaudrait sûrement une chute mortelle.

Le triple se dessina devant nos yeux. Les obstacles n'étaient qu'à 1m10 mais pouvaient être majorés jusqu'à 1m20 puisque nous étions dans un petit centre équestre qui ne respectait pas toujours les règles en vigueur. Nous utilisons ce concours en petit comité pour vérifier et valider nos longs entraînements avec Audacieuse. Et si celui-ci se trouve positif, nous commencerons les grosses épreuves et nous préparerons alors pour les qualifications en vue des Championnats de France.

Une dizaine de mètres nous séparent du premier oxer. À quelques foulées de celui-ci je la laisse un peu filer de sorte à ce qu'elle se rapproche du saut et puisse correctement couvrir toute sa largeur. Je ne peux m'empêcher de retenir ma respiration.

Mais sans même avoir le temps de réaliser quoi que ce soit Audacieuse le passe haut la main. À l'atterissage de l'obstacle je la reprends immédiatement pour passer les deux foulées séparant les sauts convenablement. Mais la jument ne le voit pas ainsi et n'en fait qu'une avant d'avaler l'obstacle en un bond en l'air qui me décapsule au-dessus de la selle.

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