Normaux

Namjoon

Namjoon P.O.V :

Je ne sais plus à quel âge je me suis rendu compte que j'étais différent des autres enfants... Peut-être en primaire quand j'avais décroché un ballon coincé dans un arbre sans le toucher et que les autres avaient cru que c'était le vent, ou au collège quand j'avais regardé un film d'horreur avec mes parents et que toutes les lampes de la maison avaient explosé au moment où j'avais crié de peur...
Mes parents avaient pensé qu'il y avait eu un problème avec le compteur électrique mais ils n'avaient plus jamais insisté pour me faire voir ce genre de film...

J'avais compris très tôt que les enfants, et les humains en général, ont tendance à se méfier et à rejeter tout ce qui est différent de leur conception du normal : j'avais donc décidé d'appliquer la citation "pour vivre mieux, vivons caché" et j'avais fait de mon mieux pour ne pas être vu comme trop marginal. J'avais de bonnes notes et j'étais toujours en tête de classe avec facilité mais je faisais en sorte de ne pas avoir trop d'avance, de faire comme si j'avais besoin d'autant voir plus d'efforts que les autres, je n'utilisais évidemment pas mes capacités ou alors très rarement et toujours discrètement, j'avais quelques amis sans être entouré non stop, etc, etc...
Je m'en étais très bien sorti ces seize dernières années et je comptais bien continuer ainsi encore longtemps.

Je suivais mes cours au lycée, m'ennuyant la plupart du temps mais m'occupant en composant des paroles de rap ou de chanson. C'était exactement ce que j'étais en train de faire pour l'instant et j'aurais continué si la prof n'avait pas interrompu soudainement son cours.

-Jikyung, tu peux m'expliquer cette formule comme je viens de le dire ?

Je relevai la tête de mon cahier et posai un regard compatissant à mon camarade de classe quelques rangées devant. Jikyung était un gentil garçon mais il avait beaucoup de difficultés scolaires et sa situation familiale ne l'aidait pas. On voyait pourtant qu'il y mettait du sien et la plupart des professeurs étaient compréhensifs et patients mais notre prof de maths avait des problèmes avec le concept de pédagogie...

-Euhm... x ? Sin x ? Enfin je crois...

J'étais agréablement surpris qu'il ait trouvé la réponse mais je fus également très surpris par la réplique de l'enseignante.

-Sinus x ? Tu es sûr ? Ce ne serait pas plutôt cosinus x ?

Son ton était presque menaçant et je rejetai un coup d'oeil au tableau pendant que Jikyung paniquait complètement. Le résultat était bel et bien juste, qu'est-ce qu'elle racontait ?...

-Euh... oui ? Cosinus x... Je suis désolé, je n'ai pas très bien compris...

-C'est parce que tu ne suis rien ! Tu ralentis la classe avec tes hésitations : évidemment que c'est sinus x, qu'est-ce que ça pourrait être d'autre !!!

Le jeune homme s'était littéralement recroquevillé sur sa chaise et la classe était plongée dans un silence consterné ; il y avait un niveau de mesquinerie tel que même les plus prompts à se moquer éprouvaient de la pitié...

-Madame, il avait donné la bonne réponse, tenta une fille.

-Et alors ?! Il l'a dit au hasard sans même être sûr : c'est sensé être bien ?

-Au moins il a tenté, répondis-je calmement.

La tête de la prof pivota vers moi en lançant presque des éclairs. Elle pouvait toujours essayer de m'impressionner, elle n'avait aucun motif pour me prendre en faute...

-Taisez vous ! Tous ! Vous dérangez le cours avec votre impertinence !

Elle repartit au tableau et continua la démonstration avec fureur, encore plus rapidement que d'habitude. Jikyung était en train de sangloter silencieusement sur sa chaise et sa voisine tentait de le consoler tout en suivant le cours mais ce n'était pas une mince affaire : je me promis de lui passer mes notes à la fin de l'heure avec quelques annotations pour l'aider et je me mis donc à écrire pour compléter les énormes trous que la prof laissait dans ses explications. Heureusement on passa vite aux exercices, ce qui nous laissa un temps de répit.

Je pus reprendre mes compositions jusqu'à la correction où la prof voulait apparemment encore faire souffrir Jikyung vu qu'elle lui demanda de venir au tableau. Je la détestais vraiment, les gens comme ça ne devraient pas pouvoir enseigner... Évidemment Jikyung ne réussit pas l'exercice et je me portai volontaire avant qu'elle ne fasse d'autres victimes. Pendant que je résolvais le problème, je la voyais scruter le tableau à la recherche de la moindre faille et l'image d'un cerbère m'apparut.

-À ta place, gronda-t-elle dès que j'eus fini.

Trop de gentillesse...
Je décidai de jouer un peu et une fois revenu à ma table, je tapotai le bois.

-Entrez !, cria la prof en se tournant vers la porte.

Quelques élèves avaient vu mon manège mais aucun n'intervint, évidemment.
Je frappai à nouveau.

-Entrez j'ai dit !

Elle s'approcha agacée de la porte et alors qu'elle allait se saisir de la poignée, je la fis s'ouvrir d'un coup. La prof se la prit en pleine tête, s'écroulant en criant. Elle n'était cependant pas si blessé que ça (j'avais un minimum de retenue) car elle se releva et bondit dans le couloir pour voir qui avait ouvert la porte. Il n'y avait personne, bien sûr...

Le cours fut abrégé pour qu'elle aille à l'infirmerie et j'en fus hautement satisfait, même si je décidais de ne pas le faire trop souvent : les élèves qui m'avaient vu imiter le bruit du toquement de porte me regardaient avec de grands yeux et m'avaient posé pleins de questions...

Je rentrai chez moi, posai mon sac et terminai rapidement les devoirs à faire. Je redescendis au moment où ma mère rentrait et je la saluai en passant.

-Tu pars ?, demanda-t-elle en me voyant près de l'entrée.

-Je vais manger avec des amis, mentis-je. Ne t'en fait pas, j'ai fini mes devoirs...

-Je ne m'en fais pas, je sais que tu es sérieux... Ne rentre quand même pas trop tard !

J'acquiesçai vaguement en courant dehors. J'allais en effet rejoindre des amis mais pas vraiment pour faire un petit tour et manger...

Je traversai les différents quartiers éclairés jusqu'à une salle de théâtre amateur où les rappeurs undergrounds se produisaient. Le public était forcément restreint mais c'était mieux que rien. Je saluai quelques connaissances en me frayant un chemin vers les coulisses où mes amis m'attendaient. Ce n'était pas à proprement parler des "amis" vu qu'on ne se voyait quasiment qu'ici et que le rap était notre seul point commun mais bon...
On monta sur scène dès mon arrivée pour assurer notre partie, nos voix dans les micros presque couverts par les cris de la salle et le temps passa à une vitesse folle ; après ce qui me parut cinq minutes on se retrouva de nouveau dans les coulisses.

-Hey ! Kim, tu participes à l'audition pour le groupe de hip hop ?

-Quel audition ?, demandai-je en attrapant ma bouteille d'eau.

-Tiens, ils distribuaient des flyers.... Je crois qu'il y a une agence qui veut débuter un groupe avec des rappeurs, donc comme tu as tendance à courir de tous les côtés pour trouver des trucs comme ça...

-Merci, répondis-je distraitement en prenant la feuille.

Je voulais pouvoir vivre de ma passion et même si les agences d'idoles ne m'intéressaient pas vraiment, je savais pertinemment que c'était par là que l'argent rentrait en majorité. On ne vivait pas d'amour et d'eau fraiche, donc j'allais d'audition en audition pour essayer de me faire embaucher. Le problème, c'est que déjà les chanteurs étaient plus recherchés que les rappeurs et qu'en plus mon physique ne convenait pas : je ne me considérais pas comme moche (j'avais un minimum d'amour propre, merci), mais je ne suivais absolument pas les standards de beauté coréennes. De là à dire que les agences privilégiaient le physique au talent il n'y avait qu'un pas, et je décidai de ne pas le franchir vu que la grande majorité des idoles étaient doués ou au moins bossaient durs pour compenser...

Je n'avais jamais tenté «BigHit», comme indiquait la feuille, mais ça ne devait pas être une agence connue vu la qualité des prospectus ; j'avais auditionné pour des maisons plus ou moins renommées mais c'était la première fois que je voyais un papier aussi cheap, ça faisait presque pitié... Ça tombait bien, je faisais aussi pitié donc on ne pouvait que s'entendre non ?