Maya et moi arpentons la gare.
Elle ne me regarde pas.
Le silence est pesant.
Elle marche trop vite. J'ai du mal à la suivre, mais je ne fais aucun commentaire.
Il n'y a rien, dans tout ce que tu viens de faire, dont tu peux être fier. Ses paroles me restent en tête, je n'arrive pas à m'en débarrasser. Je ne sais pas si je dois être triste ou en colère. Peut-être un peu des deux.
Maya s'arrête sur ce qui était anciennement la voie numéro 16. Jules est là. Il discute avec un autre Protecteur, qu'il abandonne aussitôt après avoir aperçu Maya.
Je déglutis. Jules. Deux mètres, quatre vingt dix kilos de muscles, un crâne rasé et une sale tête. Je le déteste depuis qu'il a émis des doutes sur mes capacités, le jour de mon arrivée à la Protection. Et aussi depuis qu'il me force à faire des pompes tous les après-midi, sur ordre de Maya. Pour « développer ma force physique »...
« Salut, Maya. Il est...
- Il a réussi le test, le coupe t-elle. C'est un Buffle. »
Sa voix tremble légèrement. C'est presque imperceptible, mais c'est assez pour alarmer Jules. Il fixe Maya, l'air hébété, remarque ses yeux rougis par les larmes, ouvre la bouche, s'approche, recule, referme la bouche, et je m'apprêtais à lâcher un ricanement moqueur, lorsqu'il reporte son attention sur moi.
On emploie beaucoup l'expression « fusiller quelqu'un du regard ».
Mais ce n'est rien, vraiment rien, à côté de ce que fait Jules.
Lui me trucide littéralement sur place. A la mitraillette. C'est si violent que j'ai envie de me jeter par terre, de me faire absorber par le bitume et de disparaître à jamais. Jamais je n'avais vu autant de haine dans les yeux d'une personne.
« C'est bon, lâche t-il. Je m'en occupe. »
J'articule une plainte silencieuse tandis que Jules m'attrape par le bras, pour me tirer vers un coin reculé de la gare. C'est sûr, il va me tuer. Il m'emmène à l'abri des regards pour me frapper à mort. Apeuré, j'ose à peine lui jeter un coup d'œil. Il avance, déterminé, et je détaille ses deux mètres, ses quatre vingt dix kilos de muscles, son crâne rasé et... J'hésite entre conserver ma dignité ou lui embrasser les pieds pour implorer sa pitié.
« Jules... », je bredouille.
Pour toute réponse, il s'arrête et me jette à moitié sur le sol. Pendant que je reprends mon souffle, il me lorgne d'un œil mauvais, et lorsqu'il est sûr d'avoir toute mon attention, il déclare :
« Théophane, t'es une sacrée petite merde. »
Mon instinct de survie me dissuade de répondre.
« Je connais pas mal de petites merdes, mais alors toi, t'as la palme. »
Il soupire et reprend :
« Tu sais, ça fait cinq ans que je suis à la Protection. J'ai vu des choses horribles, j'en ai bavé, et j'ai craqué des dizaines de fois. Sérieusement. Tout le monde chiale, ici. Parce que tu perds un bras pendant une mission, parce que ton copain de la brigade est mort, parce que t'as pas réussi à sauver un civil, parce que ta famille te manque ou juste parce que t'en as marre. Pas Maya. Elle, elle n'a jamais versé une seule larme, et si aujourd'hui, elle l'a fait, c'est que tu l'as poussée à bout. Alors je pourrais être impressionné. »
Pause.
« Mais j'ai plutôt envie de casser ta sale gueule de connard. »
J'émets un petit rire gêné. Et après quelques secondes, je comprends que Jules ne plaisante pas.
« Euh... On n'est pas obligés d'en arriver là, j'ai... J'ai juste oublié que...
- Que vingt huit Protecteurs sont morts pendant la nuit, grinça Jules. Et six autres ce matin. Tu sais qui était parmi eux ?
- Non...
- Arthur Reed. Le tuteur de Maya. C'est lui qui l'a fait rentrer à la Protection, qui l'a formée, et qui a plaidé en sa faveur pour qu'elle devienne Renard. Ah, et c'était aussi le plus doué de toute la Protection. Il était pressenti pour succéder à Monsieur Garcia, mais il est mort. Cette histoire ne te rappelle pas quelque chose, Théophane ? »
Je baisse les yeux. Si, évidemment. Mon frère faisait partie de la Protection, et il aurait probablement dirigé le Centre, à l'instar d'Arthur Reed... S'il n'avait pas disparu.
« Enfin. J'imagine que je ne dois pas t'abîmer, parce qu'on a besoin de gens comme toi, le temps de grossir un peu nos effectifs. Donc je vais m'en tenir à un simple avertissement. »
Jules s'approche encore et poursuit :
« A partir de maintenant, je te surveille. Si tu fais le con ne serait ce qu'une seule fois, je te promets que tu vas le regretter.
- Maya a un garde du corps, maintenant ? »
Sarcasme pour éviter de montrer que je suis mort de peur. Jules n'a pas l'air d'apprécier la stratégie.
« Je ne m'en fais pas pour Maya, rétorque t-il, acerbe. Elle est beaucoup plus forte que toi ou moi. Non, je te tiens à l'œil, parce que je suis sûr que tu serais capable de tout faire foirer. Et les petites merdes dans ton genre, c'est pas ce dont on a besoin en ce moment. »
Jules croise les bras sur son torse, et conclut :
« Alors t'es gentil, tu la fermes, tu ne te fais pas remarquer, et tout ira bien. »
J'acquiesce, poings serrés.
Jules me lance un talkie-walkie que j'attrape au vol, et explique :
« Il appartenait à un ancien Buffle. Dès qu'on t'appelle, tu ramènes ton petit cul de merdeux à Lille Europe et tu fais ce qu'on te dit. »
Jules tourne les talons et avant qu'il ne quitte la chambre, je demande :
« Il est monté en grade ? Le Buffle qui avait ce talkie-walkie ?
- Oh, non. »
Jules m'adresse un sourire désolé.
« Il s'est fait bouffer par un alien. »
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Heyy !
J'espère que vos vacances se passent bien, et que vous avez apprécié ce chapitre !
Je vous fais de gros bisous, à bientôt pour la partie suivante !
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Aliens & Compagnie
Science FictionDans un monde infesté d'aliens, Théophane, jeune homme égocentrique, opportuniste et terriblement pantouflard, perd tout ce qu'il possède en l'espace d'une seconde. Sa seule solution ? Devenir un Protecteur. Malgré lui, Théophane se retrouve au bea...