Chers lecteurs. Je crois que nous sommes au moment de l'histoire où je suis censé faire une introspection. Vous savez, un moment où je fais le point sur ma vie, où je réalise que j'ai merdé pendant vingt-six ans et où je me dis « Tiens, je n'ai qu'à devenir Protecteur, je vais me battre contre les aliens et être un vrai héros », bref, des heures et des heures de dilemme et de questions pour terminer sur une note positive.
Bon, je ne ferai pas illusion plus longtemps : l'introspection n'a pas eu lieu. J'ai dormi comme un bébé. Effectivement, mon cerveau m'a signalé qu'il y avait un paradoxe dans le fait de suivre Maya alors qu'il y a deux jours encore, je voulais quitter au plus vite la Protection. Mais je me suis adossé au mur, et je me suis immédiatement endormi.
« Comater » serait un terme plus exact que « dormir », toujours est-il que ce ne devait pas être assez long, puisque j'ai un mal fou à revenir sur Terre lorsque Maya me secoue par les épaules.
« Debout. Allez, debout. Allez, Théophane, putain... Et puis merde. »
Ses mains quittent mes épaules et sa chaussure vient frapper entre mes côtes. Je laisse échapper un gémissement ridicule avant d'ouvrir les yeux.
La mégère est en face de moi, bien droite et bien digne. Dire qu'à l'heure qu'il est, j'aurais pu être loin d'elle. Qu'est ce qui m'a pris de rester.
« Madame Leclair t'attend devant la rame pour te parler du projet.
- Il est...
- Cinq heures. Les Renards sont matinaux, Apparition Divine. »
Chose curieuse, elle agrémente sa dernière phrase d'un petit sourire. Phrase qui ressemble donc plutôt à une taquinerie qu'à un reproche cinglant. Minute. Maya serait-elle devenue sympathique ?
Je n'ai pas le temps de réfléchir plus à ce changement de comportement – très perturbant, d'ailleurs – qu'elle me saisit par le col et me force à me lever, pour me pousser en direction de la rame.
La bouche de métro est silencieuse. La plupart des Protecteurs dorment encore. J'aperçois Riley et Cindy allongés par terre, Cindy écrasant à moitié Riley. La vieille Aigle est un peu à l'écart du groupe. Elle est assise, recroquevillée sur elle-même, les yeux clos. Elle a l'air morte. Autour des endormis, quelques-uns restent stoïques. Droits, immobiles, ils montent la garde. Maya est l'un d'eux. Me voyant hésiter, elle me montre d'un signe de tête Hermione Leclair.
Au fur et à mesure que je m'approche, la silhouette de la nouvelle Lionne se détache de l'obscurité. Elle regarde droit devant elle, et ne se retourne même pas à mon arrivée. Si bien que nous restons une longue minute côte à côte, à contempler la rame.
Elle ne dit rien. Je ne dis rien. Le malaise s'installe, pour moi en tout cas. Je cherche un moyen d'engager la conversation, mais je n'ose même pas la regarder.
Soudain, un métro surgit du néant, file jusqu'à nous, et se stoppe en cahotant. Hermione applaudit, hilare.
« Oh, bravo, bravo, s'exclame-t-elle. C'est parfait ! »
Un jeune garçon s'extirpe alors du métro, tout content des éloges de la directrice. Il a le sourire extrêmement large et les dents du bonheur, ce qui lui donne un air à la fois mignon et idiot.
« Je vais continuer, décrète-t-il, très fier. J'ai compris comment ils fonctionnaient, je vais y travailler encore. Il en passera au moins dix par jour dès demain !
- Formidable, s'émerveille Hermione. Je suis très satisfaite, Hugo. »
Le dénommé Hugo hoche la tête, aux anges, avant de s'éloigner aussi prestement qu'il est apparu.
« Remercions Monsieur Thilliers d'avoir songé aux métros, soupire Hermione, une fois le garçon disparu. Je ne sais pas ce que nous serions devenus sans eux. »
Elle se tourne vers moi et, comme à chaque fois que je la vois, j'éprouve une espèce de malaise. Je n'arrive pas à détacher mon regard des cicatrices blanches, de la joue déchirée, de la lèvre fendue. Les yeux bleus d'Hermione me fixent avec une insistance dérangeante.
« J'aimerais vous confier une mission. Une sorte de... Comment la définir ? Je voudrais que vous meniez une enquête. »
Je hausse les sourcils, décontenancé.
« Une enquête ?
- Je dois dire que c'est une aubaine que vous ayez intégré la Protection, poursuit-elle. Et que vous ayez survécu à l'attaque du Centre. Une aubaine, oui, vraiment. »
Sa bouche se tord en ce qui semble être un sourire, et avant que je n'aie le temps de comprendre ce qu'elle entend par « aubaine », elle effleure ma pommette avec une délicatesse qui me glace le sang. Ses doigts sont gelés.
Je recule instinctivement. Elle ne me retient pas.
« Vous lui ressemblez tellement », murmure-t-elle.
C'est à cet instant que je comprends.
La promotion en tant que Renard, la mission, l'aubaine que j'étais censé représenter. « On a besoin de toi, Théophane », disait Maya. La Protection n'a pas besoin de moi. Elle a besoin d'Archibald.
Hermione ne paraît pas remarquer mon trouble.
« La Protection a frôlé la mort hier soir. Monsieur Garcia ne voulait pas voir une évidence qui lui a coûté la vie : les aliens ont progressé. Ils sont devenus plus intelligents, plus organisés, et si nous continuons à croire que nous pourrons les exterminer facilement, nous nous trompons. Je veux savoir ce qui a pu déclencher une évolution chez eux. Je veux savoir comment se manifeste leurs nouvelles aptitudes, s'ils préparent quelque chose, ce qu'ils veulent, je veux tout savoir. Et vous allez m'aider à trouver ces renseignements, Théophane.
- Sauf votre respect, Madame, je n'ai pas les compétences de mon frère en aliénologie », je rétorque d'un ton acerbe.
Hermione éclate d'un rire cristallin.
« Oh, bien sûr que non, mon cher. Archie non plus n'était pas assez talentueux pour ça. En matière d'aliens, il n'y a qu'un spécialiste... »
Elle s'approche de moi, et chuchote, comme s'il s'agissait d'un secret de la plus haute importance :
« Le Professeur Franck Juliard. »
Inutile de préciser que ce nom ne me dit rien du tout.
« Franck Juliard est le meilleur, en tout cas dans notre région. C'est un... Comment pourrais je le décrire ? Un original. Un véritable ermite, mais très intelligent. Il a écrit plusieurs chapitres du Traité de l'aliénologie, vous savez.
- Pourquoi n'allez vous pas lui rendre visite vous-même ? »
Hermione grimace, et je sens que, malgré son admiration pour les compétences du Professeur, elle ne le porte pas vraiment dans son cœur.
« Il a une... mauvaise relation avec la Protection. Il nous a quitté il y a des années. Il se fiche bien de la lutte contre les aliens, tout ce qui l'intéresse, c'est la science, vous comprenez. Le seul Protecteur avec qui il avait un contact était...
- Mon frère.
- Oui. Votre frère. »
Je détaille un instant le métro en face de nous.
« Qu'attendez vous de moi, exactement ?
- Oh, c'est assez simple. »
Hermione sourit.
« Je veux que vous vous fassiez passer pour Archie auprès du Professeur Juliard, et que vous lui soutiriez tout ce dont nous avons besoin. »
--
HEY.
Les choses se compliquent pour notre petit Théophane, qui se voit pour la première fois confier une VRAIE mission de Protecteur. Va-t-il y arriver ? (j'ai l'impression de faire la voix-off d'une vieille fin d'émission de téléréalité, mais c'est pas grave)
Sur ce, j'espère que vous avez apprécié ce chapitre !
De gros bisous et à la fois prochaine <3
VOUS LISEZ
Aliens & Compagnie
Science FictionDans un monde infesté d'aliens, Théophane, jeune homme égocentrique, opportuniste et terriblement pantouflard, perd tout ce qu'il possède en l'espace d'une seconde. Sa seule solution ? Devenir un Protecteur. Malgré lui, Théophane se retrouve au bea...