Chapitre 10

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Le trajet est un véritable calvaire.

Déjà, parce que Cindy conduit beaucoup trop lentement. Il s'arrête à chaque passage piétons, même si il n'y a personne, et n'hésite pas à ralentir devant « les monuments de notre belle Lille ».

Monuments qui, soit dit en passant, ne sont plus que des ruines.

« Notre belle Lille » est devenue une ville fantôme. Immeubles détruits, magasins saccagés, métro inutilisable... A Lille comme partout dans le monde, personne n'avait prévu l'invasion des aliens. Il a suffit de quelques semaines pour que les deux tiers de la population soient rayés de la carte. Les humains se sont organisés. Les Centres de Protection ont été créés, et grâce à eux, des milliers de vies ont été sauvées. Mais rien ne s'améliore. Un siècle que les aliens sont là, et nous n'avons pas progressé. Ils sont toujours aussi nombreux, nous toujours aussi vulnérables, et les décombres de Lille témoignent de notre défaite. Tout ce que nous avons pu faire, c'est établir des règles. Vivre en ville. A proximité des Centres. Ne jamais sortir sans une arme. Apprendre aux enfants à se servir d'un revolver. Tenter de recouvrer une activité professionnelle, une sorte de vie, même si rien ne sera plus jamais « comme avant ».

Nous passons devant un Palais des Beaux-Arts à moitié effondré. La lenteur de Cindy me donne le temps de contempler les affiches électorales collées sur le bâtiments. Elles sont toutes à l'effigie de Léon Gray. Les élections ne sont pas encore passées, mais je peux affirmer sans aucun doute qu'il sera notre nouveau président.

« Les gars, on est presque arrivés, décrète Cindy, alors je pense qu'il faudrait mettre au point un plan d'attaque. »

Je lève les yeux au ciel. Qu'il fasse son foutu plan d'attaque si ça lui chante, dès qu'il tourne le dos, je décampe.

Erika lâche un petit soupir. Je détaille ses mèches noires, contrastant étrangement avec le blanc de sa peau. Elle ressemble à un zombie. Un zombie qui mastique bruyamment son chewing-gum.

« Ouais, donc, reprend Cindy, je me disais... Ricky, tu vas passer devant... Je peux t'appeler Ricky, hein ? »

Erika ne bronche pas.

Cindy interprète son silence comme une approbation.

« Ricky devant, Théthé ensuite, et je ferme la marche.

- Je pense que tu devrais arrêter de m'appeler Théthé.

- Oh, allez, c'est sympa, non ? »

Cindy se retourne pour m'adresser un grand sourire. Le problème, c'est que puisqu'il se retourne, il ne regarde pas la route. Et sa conduite extraordinairement lente ne lui permet pas d'éviter un lampadaire.

Ce devait être le coup de trop pour ce pauvre lampadaire, qui s'effondre de tout son long sur le capot.

Une longue colonne de fumée s'échappe à présent de notre voiture.

Je n'ai même pas la force de soupirer.

« Oh bah merde alors, ça c'est pas de chance », baragouine Cindy, en enfonçant tour à tour les pédales d'embrayage et d'accélérateur.

Évidemment, la fourgonnette ne démarre pas.

Cindy se gratte le sourcil. Il a l'air assez embêté.

« Ouais, bon, on va prendre les armes et puis on va continuer à pied. »

Je m'apprête à répliquer qu'on ne va pas aller attaquer l'alien à pied, surtout de nuit, lorsqu'une chose très importante me revient en mémoire : je ne vais pas aller attaquer l'alien. Je vais tranquillement les laisser aller se faire tuer, et moi, je vais prendre la fuite. Et non, je ne suis pas lâche, je suis juste pragmatique. Il évident que nous sommes une équipe de bras cassés – sauf moi, bien sûr – et que cette mission sera un désastre. Je ne fais qu'éviter le massacre.

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