Chapitre 15

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DEUXIÈME PARTIE : CONSPIRATIONS


Mon père est très fort pour dissimuler ses émotions. Il a en permanence le même air grave, comme s'il s'était produit un malheur incroyable et que nous devions tous nous recueillir en silence.

Il est grand, sévère, impassible, à tel point qu'on pourrait se demander s'il n'est pas un robot. Vous pouvez donc déduire – et ce tout à fait justement – que mon frère et moi n'avons pas croulé sous l'amour paternel. Nous reportions par conséquent toute notre affection sur notre mère. Manque de chance, celle-ci, créature chétive et sans défense, malade en permanence, est morte à nos huit ans, dévorée par un alien. Je ne peux pas m'empêcher de supposer qu'elle a été soulagée de mourir : la vie semblait être une trop grosse épreuve pour elle.

Le décès de Maman a eu trois conséquences. Un : Archibald et moi avons été privés de la seule source de tendresse dont nous disposions. Deux : notre père est devenu encore plus grand, sévère et impassible qu'il ne l'était déjà – la chose était pourtant difficile –. Trois : quelques mois plus tard, il s'est remarié, et je crois que c'est à son remariage qu'Archibald et moi avons commencé à ne plus être « les inséparables frères Renoir ».

Notre belle-mère s'appelle France. Et avant tout, il faut que vous sachiez que je place France en haut de l'échelle des petites pestes. Devant Maya, oui oui.

Si mon père est un robot, France est un croisé entre une harpie et un perroquet. Elle n'a que trois sujets de conversation : le thé, son abominable chat et son amour pour la Protection. En bon perroquet, elle tourne en boucle sur ces trois sujets, le summum du contentement consistant pour elle à boire du thé, son chat sur ses genoux, tout en déblatérant des idioties au sujet de la Protection. Et naturellement, en bonne harpie, elle harcèle quiconque ose s'en prendre à ses trois amours.

Devinez qui est l'harcelé ? Moi, bien sûr. Je ne peux pas supporter France. France ne peut pas me supporter. Quatre fois par an, nous faisons l'effort de nous tolérer pour un merveilleux repas de famille où Papa ne desserre pas les lèvres, où je lutte pour ne pas recracher son thé atroce, et où France me lance des piques dissimulées sous une voix mielleuse. Archibald manquant à l'appel, évidemment.

La disparition d'Archibald est le nouveau thème de prédilection de France. France aime la Protection, Archibald était un Protecteur : France aime Archibald. Elle ne manque pas une occasion pour s'extasier sur les talents de son beau-fils préféré. Je me demande si je ferais, moi aussi, un bond en avant dans son estime si elle apprenait que j'étais devenu un Renard. Probablement pas.

Toute cette réflexion pour dire que mon père cache très bien ses émotions, chose que je ne savais pas faire. Jusqu'à aujourd'hui.

D'abord, j'en veux à Hermione. La seule raison pour laquelle on me nomme Renard, la seule raison pour laquelle on se réjouit que je sois en vie, c'est ma ressemblance avec Archibald. Je n'ai pas ses qualités mais je serai un bon substitut. Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais. Je n'ai pas brillé par mes talents au sein de la Protection, et je laisse la plupart du groupe indifférent, ou agacé. Mais être retenu uniquement pour les traits communs avec mon frère a quelque chose de vexant. Je suis tenté de refuser, de faire une sorte de doigt d'honneur à la Protection en les privant de mon visage, mais je me ravise assez vite.

Les paroles de Maya me reviennent en mémoire. En m'insérant dans la Protection, à long terme, je suis gagnant. J'ai un abri et des camarades censés me soutenir. Si j'avais dû combattre des aliens comme les autres Protecteurs, évidemment, je n'aurais pas voulu rester. Mais cette mission spéciale présente un avantage : celui de ne comporter aucun extraterrestre assoiffé de sang.

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