D'un geste qui trahissait son agacement, William posa le dossier sur sa table de travail.
Cela devait arriver, il le savait. C'était dans l'ordre des choses. Ces dernières années, il s'y était d'ailleurs préparé. Il avait même pensé que cela arriverait bien plus tôt.
Alors pourquoi cela le touchait-il autant ?
D'un mouvement souple, vif, presque félin, il se leva et traversa la pièce, avant de se planter devant le panneau vitré qui formait un des murs de son bureau. Il glissa ensuite ses mains dans les poches de son pantalon anthracite à la coupe impeccable. Puis nerveusement, il fit rouler ses épaules, afin d'en chasser la tension qui s'y était accumulée depuis qu'il avait reçu le rapport.
Son regard bleu balaya les rues de ce quartier d'affaire de l'East End, qui quinze étages plus bas trépidaient de vie. Plus loin, la Tamise étendait tranquillement sa nappe sombre et scintillante sous le soleil de cette belle matinée d'été...
Cela faisait maintenant presque dix ans qu'il vivait à Londres. Certes, les débuts avaient été laborieux. Mais aujourd'hui, il était devenu incontournable dans le monde des affaires.
Et, il ne devait rien aux Wenworth, pensa-t-il. Non, il n'avait pas eu besoin d'eux. C'était là, sa plus grande fierté.
Wenworth. Nom prestigieux, s'il en fallait. C'était l'une des familles les plus importantes de la haute société bostonienne. Une famille dont il était issu, mais dont il n'avait jamais partagé les valeurs. Pour tout dire, ses opinions, ses idées, ne pouvaient être plus éloignées des leurs... Il avait donc choisi l'Europe pour débuter sa carrière, principalement pour s'éloigner de sa famille, mais pas seulement...
Il ne leur devait rien. Ou plus exactement, il avait bénéficié d'un legs en fidéicommis de sa grand-tante - décédée alors qu'il n'était qu'un enfant - qui lui avait permis de mettre le pied à l'étrier.
Bruce Thornton et lui, frais émoulus de Yale, avaient donc débarqué à Londres un jour d'automne pluvieux et venteux. Et plein d'enthousiasme et d'allant, un peu fous sans doute, mais surtout inconscients, ils s'étaient lancés tête baissée dans le monde des affaires. Rachetant pour une bouchée de pain une petite entreprise en « difficulté », ils l'avaient restructurée avant de la revendre en faisant un bénéfice... tout juste acceptable...
Aujourd'hui, à trente-trois ans, dire qu'il avait réussi au-delà de ses attentes était un euphémisme. Il était multimillionnaire, et tout lui semblait à portée de main...
Tout, sauf ce qui comptait le plus pour lui.
William revint vers le bureau et prit la photo qui avait été jointe parmi d'autres, au dossier. Depuis qu'on lui avait apporté ce rapport d'enquête un peu plus tôt dans la matinée, il n'avait pu s'empêcher de regarder cette photographie.
Son visage semblait maintenant beaucoup plus mature, mais était toujours encadré par ses mêmes flamboyantes boucles auburn foncé. Elle avait de magnifiques yeux marron en amande, des pommettes saillantes, une bouche pulpeuse et une petite fossette au menton à la « Ava Gardner ». Mais, ce qui magnifiait ce joli visage, c'était cet air doux et tendre, qui le rendait presque mélancolique. Ce visage avait quelque chose de fascinant, et avait toujours fait naître une indéfinissable sensation, au plus profond de lui.
Il reposa le cliché avant d'en prendre un autre. Et aussitôt son visage durcit. Il avait tout à coup l'impression que ses entrailles se nouaient douloureusement. Jamais il n'aurait pensé que cela l'aurait atteint à ce point. L'esprit soudain envahi par des images venant du passé, il reposa lentement la photographie. Machinalement, presque sans y faire attention, il prit la première enveloppe de la pile de son courrier personnel. Amélia, sa très efficace et très ordonnée assistante, les avait classées à son intention un peu plus tôt.
La pochette, faite en épais papier blanc, avait de superbes finitions en relief, et était d'une élégance sobre. Il l'ouvrit et en sortit une carte.
C'était un faire-part.
« Sara et Nikos... ont la joie de vous faire part de leur mariage... »
William fronça les sourcils, et vivement son regard chercha les noms complets des futurs mariés, au bas de la carte.
« Sara Holland et Nikolaos Démétrios »
Incroyable ! Nikos, l'homme qui voyait rarement la même femme plus de deux fois d'affilé... allait se marier !
Et pourtant, s'il avait dû parier sur un homme qui ne se mariait sans doute jamais, ç'aurait été sur celui-là...
Sara Holland...
Un sourire fleurit sur ses lèvres. Cette femme - qu'il imaginait aussi superbe qu'un top model, connaissant les goûts de Nikos - devait être complètement folle pour accepter de se marier à un type pareil... ou exceptionnelle, puisqu'elle avait réussi à se faire aimer de lui.
Il poursuivit sa lecture.
« Ils vous convient à la cérémonie qui aura lieu à.... Paris... »
Paris...
Automatiquement, son regard retourna se poser sur le rapport et les photos qu'il contenait.
Peut-être était-ce là l'occasion qu'il attendait ? songea-t-il alors qu'il sentait poindre en lui une faible lueur d'espoir.
Il reporta son regard bleu outremer sur le faire-part.
Le mariage aurait lieu dans à peine deux semaines...
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Un si long silence : Destins croisés 2
RomanceGeneviève croyait ne plus jamais revoir William. Quelques années auparavant, elle l'avait fui. Et suite à leur brève et douloureuse liaison, elle avait dû, pas à pas, se reconstruire. Mais William, toujours aussi séduisant et arrogant qu'autrefois...