Chapitre 16

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Son ordinateur portable posé sur ses genoux, Geneviève était assise en travers, les jambes relevées en appui sur l'accoudoir d'un des fauteuils en cuir placé près de la fenêtre. Derrière la vitre, un crachin automnal tombait d'un ciel bas et gris. Le temps est à l'image de mon humeur, constata-t-elle en poussant un soupir, presque un gémissement désespéré. Elle reporta ensuite son regard sur ses cours de maths, et essaya tant bien que mal de se concentrer.

Elle se métamorphosait aussi bien physiquement que moralement, et avait maintenant perdu les quelques kilos qu'elle avait gagnés à son arrivée à Londres. À tel point qu'elle commençait même à inquiéter William qui la poussait à manger... lorsqu'il était là, bien sûr. Elle revivait exactement les mêmes sentiments d'insécurité de son adolescence... Mais contrairement à cette époque où elle avait l'impression d'avoir toujours faim et où elle cédait à des fringales, aujourd'hui, elle n'avait aucun appétit.

Moralement, la jeune femme se sentait partir à la dérive. Elle ne parvenait pratiquement plus à se concentrer sur ses cours : le dessin et la lecture n'arrivaient plus à captiver son esprit torturé.

Elle éprouvait de plus en plus une profonde lassitude.

Ses journées étant désormais de plus en plus vides, parfois en sortant du bureau de placement, elle errait au hasard dans les rues de Londres, se fondant dans la masse anonyme, se fatiguant physiquement, avant de rentrer à l'appartement. Et comme pour échapper à cette sensation de plonger dans un gouffre sans fin, elle passait beaucoup de temps à dormir.

Elle se voyait à présent comme une véritable junkie incapable de se passer de sa drogue, tout en sachant parfaitement que cette substance allait fatalement la détruire. Et même si elle savait qu'il ne l'aimerait jamais, dans le même temps, elle redoutait que William finisse par se lasser d'elle. Et paradoxalement, elle avait parfaitement conscience que ce serait le mieux pour elle... puisqu'elle était incapable de partir d'elle-même.

Mais pourquoi prétendait-il ne pas vouloir qu'elle s'en aille alors qu'il ne la voyait maintenant que pour coucher avec elle ? Il trouverait, à n'en pas douter, quantité de femmes pour partager uniquement du sexe avec lui, pensa-t-elle alors que son estomac se nouait douloureusement en l'imaginant avec d'autres partenaires. Mais en même temps, pourquoi chercherait-il, puisqu'il avait une maîtresse — ou une prostituée, car c'était presque ainsi qu'elle se considérait à présent — à disposition, et à demeure, qui en plus se pliait à toutes ses exigences sans rien demander en retour ? Il n'avait même plus à perdre son temps au restaurant pour la mettre dans son lit, pensa-t-elle, acide.

Elle trouvait maintenant le désir qu'elle éprouvait pour William abject, mais acceptait malgré tout ses caresses. Geneviève en était arrivée au point de détester ce qu'elle était devenue. Elle haïssait sa lâcheté. Elle qui était partie de chez Alain pour reprendre sa vie en main et être enfin elle-même... Elle était en fait tombée amoureuse d'un homme qui ne la considérait que comme un jouet sexuel. Elle avait échappé à un genre de domination pour finalement en tomber sous un autre. Elle était désormais sous le joug, l'assujettissement, d'un amour à sens unique.

En fait, elle réalisait que cette relation aspirait littéralement toute sa substance, la phagocytait.

C'était la même douleur qu'elle avait ressentie lorsqu'elle avait réalisé à quel point Stéphane et ses amis l'avaient traitée comme une moins-que-rien...

Geneviève cherchait à lui échapper. Il le sentait chaque jour un peu plus. Mais il n'était pas encore prêt à la laisser partir, pensait sombrement William. Tout comme Alissa, elle se détachait de lui... C'était du reste le seul point commun qu'elles avaient toutes les deux... Mais pourquoi fallait-il toujours qu'il les compare ? s'agaça-t-il.

Un si long silence : Destins croisés 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant