La Montagne / 4 janvier 762

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Le voyage retour vers la Montagne fut éprouvant : ils durent rouler de jour comme de nuit d'une seule traite pour pouvoir faire soigner au plus vites leurs blessés, privés de leur apprenti infirmier, de son matériel de soins mais aussi du stock d'eau et de nourriture de plusieurs véhicules.

Dissimulée sous un tas de roc de plusieurs dizaines de mètres de hauteur, leur base souterraine était invisible depuis le désert. C'était, comme feu l'Oasis, une forteresse militaire qui datait du conflit sino-européen, à ceci près qu'elle avait été bâtie par la puissance européenne et qu'elle bénéficiait de toutes les commodités modernes de cette civilisation. Alimentée en eau, en électricité et en air frais, elle possédait un dock souterrain, des entrepôts, des quartiers d'habitation, des dortoirs, des douches, une cuisine, un réfectoire, une infirmerie de plusieurs lits ainsi que des garages et un immense Atelier, dans lesquels ils garaient et entretenaient les véhicules qui assuraient leur puissance. Dans le désert d'Afold, on ne pouvait pas rêver plus grand, plus confortable, ni plus fonctionnel pour une meute armée.

Ils pénétrèrent dans son ombre tempérée d'acier et de béton avec soulagement. La petite file de voitures y entra par une immense porte quasi invisible sur la paroi de pierre. Elle débouchait sur une cabine d'ascenseur assez vaste pour en contenir deux et qui les menait sous terre vers les garages, puis, au niveau du sol, vers un hall d'entrée où le reste de la troupe les attendait.

Les soldats et les ouvriers qui étaient restés à la base les accueillirent à peine la porte franchie mais leur joie disparut lorsqu'ils les virent arriver en si petit nombre, les visages défaits. Ce devait être une sortie d'entraînement, une routine pour roder les recrues et maintenir chauds les muscles des vétérans. Les plus jeunes soldats, Tino et Nikki, éclatèrent en cris et en pleurs lorsqu'ils comprirent que Dos l'Aîné, l'homme qu'ils vénéraient en exemple, y avait laissé la vie. La consternation fut à son comble quand les survivants accusèrent du regard le corps crispé de la jeune fille porté par Beau et Nyomê. Les deux hommes la lâchèrent aux pieds de leur chef sans ménagement comme s'il s'agissait d'une immondice. L'incompréhension se mua en désordre. Il fallut plusieurs minutes pour qu'un récit lapidaire de la tragédie fît le tour de la pièce. La situation devint encore plus surréaliste lorsque Calife exigea d'interroger leur prisonnière.

Dans un brouhaha séditieux, le chef et son second emportèrent la fille jusqu'à la salle d'interrogatoire, où elle fut assise et ligotée sur une chaise. Le voyage en plein soleil sans eau ni nourriture avait un peu aggravé son état – mais pas tant que ça. Toute sa peau, son crâne, son visage, étaient brunis de sang sec. Pas une partie de son corps n'était épargnée par les blessures. Son ventre présentait un aspect de marmelade, noir. Pourtant, elle respirait normalement et ses yeux avaient retrouvé une mobilité très dérangeante au milieu d'un visage de femme. Vizir la gifla de plusieurs allers-retours pour atténuer cette impression et réclamer son attention.

– Qu'est-ce que tu veux faire de ça ? demanda-t-il avec dégoût devant son visage tuméfié.

Ignorant sa question, Calife s'adressa à elle en parlant fort et en articulant clairement :

– Hey ! Tu comprends ce que je dis ? Tu parles ? Réponds-moi.

Elle redressa péniblement la tête, son cou émit des craquements caoutchouteux. Elle fixa Calife, puis parvint à prononcer des paroles lourdes, chaque mot lui demandant un effort visible.

– Oui... Je te comprends.

Au son de sa voix, Vizir lâcha une interjection injurieuse. Calife demanda :

– Qui était ton maître ?

– Favel, gargouilla-t-elle.

Ses maxillaires articulaient à grand-peine, elles devaient être cassées.

La fille | Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant