La route vers Touhary, effectuée d'une seule traite, fut harassante, la plupart d'entre eux avaient un teint de friture. La tête leur cognait, la douleur exacerbée par le soleil, le bruit et les trépidations des moteurs. La fille jetait de temps à autre un coup d'œil à Vizir, allongé à l'arrière et délirant de fièvre.
En ville, les gardes étaient nerveux et les commerçants inquiets. Ils ignoraient ce qui se tramait dans leur voisinage mais tous redoutaient des combats qui réduiraient leur ville en poussière. Il faisait peu de doutes que les Boomers comptaient mettre Touhary dans leur escarcelle en même temps qu'Afold en s'installant dans le coin, tout comme il était clair que la ville n'avait pas les moyens de s'en défendre et même tout intérêt à les laisser faire.
Ils pénétrèrent dans la cité de sable sous l'œil soupçonneux des gardes. Il s'agissait de se ravitailler et de récupérer les recrues sans perdre de temps. Ce fut avec la plus grande des curiosités que les hommes de Calife firent la connaissance des échappés de Saint-Sauveur, immensément réputés pour leur savoir-faire en armurerie. Les trois hommes les reçurent avec le même enthousiasme dans la maison qui leur servait d'atelier depuis leur arrivée à Touhary, deux semaines plus tôt seulement. Ils avaient été accueillis comme des princes. Ils étaient logés, nourris et blanchis en échange de leur travail pour un marchand de la ville. Leur maison était confortable, ils disposaient d'une carrée meublée de banquettes où ils étendirent Vizir, ainsi que d'une pièce d'eau organisée autour de la cuve du précieux liquide pour se laver et préparer les repas.
Le plus âgé se prénommait Hern ; il arborait un front large et un air toujours pensif. Il vivait avec deux jeunes frères croisés sur le chemin de son évasion, Sabre et Loyal. Les présentations furent l'occasion pour les trois hommes de fournir un récit de leur échappée et un bref aperçu du pénitencier de Saint-Sauveur. Ils ne maitrisaient pas encore très bien la langue du désert et la fille se chargea de traduire tout ce qu'ils ne purent pas exprimer.
Tous trois étaient européens, plus précisément des manœuvres, ceux qui passaient leur vie sur des machines. Hern venait de Siligon-Memphis, les deux autres de Varsow. Ces villes souterraines étaient modernes, comme toutes les villes du continent européen, elles demandaient un entretien permanent par des manœuvres qualifiés. Les feignants et les fortes têtes finissaient dans cette prison construite à la surface sur la frontière qui séparait l'Europe du désert, à visser du canon pour le restant de leurs jours.
La prison était une usine entièrement automatisée, elle se passait de la présence permanente de gardiens puisqu'elle se trouvait entre deux étendues réputées infranchissables : d'un côté le no man's land européen, mortellement contaminé, de l'autre les dunes brûlantes des Flandres, à plus d'une semaine de la première ville, Pijis. Construite dans l'épaisseur même des murs derrière lesquels se cloisonnaient l'Europe, Saint-Sauveur était une grosse boite compartimentée en lignes de fabrication et en cellules, dans lesquelles les prisonniers devaient travailler pour être nourris.
Ils n'avaient, théoriquement, aucun espoir d'en sortir vivants : ils étaient tous là à perpétuité et de toute façon, les radiations, les pannes et l'atrocité de leurs conditions d'emprisonnement réduisaient leur espérance de vie à quelques années si tout se passait au mieux.
Les matières premières, les vivres destinés aux prisonniers et les armes produites transitaient par un réseau de conduits mécanisés qui desservait les cellules, chacune munie d'une machine-outil. L'alimentation en eau, en air et en vivres était conditionnée à l'utilisation de la machine par le prisonnier. Celui qui ne travaillait pas n'était pas nourri.
Une maintenance annuelle voyait une armée de techniciens et de soldats en combinaisons étanches évacuer les morts, bastonner les survivants, compter les évadés et réparer les dégâts que subissait l'usine pénitentiaire. Ensuite les gardes remplissaient les cellules vides de nouveaux détenus et s'en allaient comme ils étaient venus.
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La fille | Tome 1
Fiksi IlmiahAn 762 après la guerre qui a transformé la Terre en désert. Au nord, l'Europe agonise au-delà du no-man's land, dans des villes souterraines d'où ne sortent que des armes, de rares prisonniers et de la dope. Au sud, l'Afrique s'embrase après la mort...